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On ne sait de quoi il serait capable si on parlait de démolir la Tour. Ce respect des choses anciennes, cette religion de l’immemorial right, de cette « nuit des temps » dans laquelle se perd l’origine de la Chambre haute, voilà ce qui la couvre et le défend aux yeux de l’Anglais ordinaire.

Jetons un regard sur cette nuit des origines ; pénétrons-y un moment à la suite de Stubbs et de Freeman, les deux grandes autorités sur ces temps et ces questions-là[1]. Pour Stubbs, la Chambre des Lords apparaît, sous une forme à peu près reconnaissable, en 1295, c’est-à-dire quelques années après la Chambre des Communes et elle achève de s’organiser pendant le cours du XIVe siècle. À cette question : « Quand et par qui a été créée la Chambre des Lords ? » Freeman répond sans hésitation qu’elle n’a jamais été créée. Selon lui, elle continue un autre organisme politique, absolument rudimentaire, et que, dans nos spéculations les plus lointaines, nous ne voyons pas commencer. C’est l’assemblée générale des hommes libres, à laquelle tous ont le droit d’être présens, mais où les sages (witan] jouent seuls un rôle actif et qui, pour cette raison, s’appelle le Witenagemot. Ils discutent et le peuple signifie son approbation ou sa désapprobation par des cris : Yea ou Nay. Au premier abord, on est aussi étonné que si l’on se trouvait en présence d’une thèse qui ferait la pairie anglaise l’héritière du Sénat romain. Faut-il en croire Freeman ? Ses vues sont larges et hardies, toujours originales et intéressantes, mais parfois un peu paradoxales. Son esprit fut un des premiers à embrasser et à appliquer l’évolutionnisme historique, mais il l’a, peut-être, en certains cas, légèrement exagéré. Considérer le Witenagemot transformé en Curia Regis ou la Curia Regis transformée en Parlement comme l’Histoire naturelle considère le ver à soie qui sort de son cocon, changé en papillon, ce serait confondre la méthode et les procédés de deux sciences fort différentes. Il faut faire, dans les événemens de l’histoire, une part, et une très grande part, à l’action humaine qui est, d’ailleurs, l’instrument, plus ou moins conscient, de l’évolution.

  1. Il existe deux ouvrages spéciaux que l’on peut consulter : The constitutional History of the House of Lords, par Luke-Owen Pike (1895) et The Rome of Lords, par Wylie (1907). Ces deux auteurs sont des légistes, et leurs livres, le premier surtout, sont plutôt des traités de jurisprudence parlementaire que des ouvrages historiques. Les grandes lignes et les idées générales, fournies par Freeman, y disparaissent dans le détail et la contradiction des petits faits.