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queue de comète, égarée dans notre atmosphère ; la partie solennelle engagée entre les Lords et la Démocratie, entre l’hérédité et l’élection populaire, comme un game entre les onze de quelque fameuse équipe de cricketeers et les onze d’une équipe rivale. N’était la fatigue et la dépense d’une élection générale en mai, venant après une élection générale en janvier, on serait disposé à considérer cette bataille comme le sport le plus « excitant » de la saison de 1910. Cette insouciance tient peut-être à ce fait que l’Anglais moderne ne possède pas notre riche expérience de la guerre civile et de la révolution sociale, du prix qu’elles coûtent, des tristesses qu’elles amènent et qui leur survivent. Peut-être tient-elle, surtout, à la conscience qu’ils ont que tout « s’arrangera, » et que la vénérable Constitution, avec quelques coups de marteau, sera mise, cette fois encore, en état de marcher pendant un siècle ou deux. Quoi qu’il en soit, le spectacle vaut, assurément, la peine d’être regardé. Mais il ne suffit pas de le regarder pour le comprendre.

Si, avant de vous adresser aux intéressés, — et il en est de tous les degrés, — aux professionnels de la politique, vous interrogez un homme quelconque, pris dans la moyenne, un de ceux qui refusent aujourd’hui de se laisser enrégimenter dans un parti, mais se portent tantôt d’un côté, tantôt de l’autre et font les grosses majorités adverses et alternatives de 1900 et de 1906, vous le trouverez très ardent, très décidé sur le dilemme de la réforme douanière et du libre-échange, très décidé, également, contre l’autonomie irlandaise, mais tiède et presque indifférent sur la question de la Chambre des Lords. Cet anonyme que les Anglais appellent the man in the street et qui est l’arbitre des destinées du pays, entend deux voix qui lui crient : « Tu ne supporteras pas plus longtemps cette absurdité monstrueuse qui n’existe chez aucune autre nation, un législateur héréditaire ! » et l’autre : « Tu ne renverseras pas de tes mains l’arche sainte, tu ne toucheras pas à cette constitution que t’a léguée la sagesse de tes ancêtres et qui fait la force de l’Empire britannique ! » Qu’un législateur héréditaire soit une absurdité, il l’admet sans discussion et sans examen, bien qu’il soit partisan déclaré de la monarchie héréditaire et de la propriété héréditaire. Mais la « sagesse des ancêtres » fait vibrer quelque chose en lui ; elle réveille de vagues instincts conservateurs qui sommeillent, mais ne s’effacent pas.