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dans un coin séparé de l’hôtel de La Rochefoucauld, et Gourville à l’hôtel de Condé. »

C’était un esprit fertile en expédiens que ce Gourville, flairant son profit de tout, attentif aux occasions, habile à sortir d’un mauvais pas et à conjurer les accès d’humeur de la fortune. Son opinion sur les hommes était qu’ils ont leur propriété à peu près comme les herbes, que leur bonheur consiste à avoir été destinés, ou à s’être destinés eux-mêmes aux choses pour lesquelles ils étaient nés. Or Gourville était né pour faire fortune et, sur la foi de son étoile, il s’est si bien poussé dans le monde qu’il est parvenu à ses lins. Un de ses avantages était de n’avoir aucune espèce d’idéal, et partant peu de principes et encore moins de scrupules, ce qui est une grande commodité pour faire son chemin. Aussi ne voit-il dans la vie qu’une affaire, la plus compliquée des affaires et, en homme qui les entend, il professe un grand ‘dédain pour les rêveurs qui pensent et imaginent au lieu d’agir, et surtout pour les philosophes, lesquels, dit-il, ont l’humeur chagrine à l’endroit des gens d’affaires parce qu’ils possèdent de grands biens.

Les seules vertus qu’eut Gourville étaient celles qui pouvaient lui être utiles, et en particulier la faculté du dévouement. Il n’était pas comme ces vulgaires égoïstes qui sont pressés de toucher les intérêts de leur dévouement ; il pratiquait, lui, les dévouemens à longue échéance, les plus avantageux et les plus sûrs. Mais ce qui lui servit davantage, c’est qu’il avait l’humeur et l’esprit souple et qu’il posséda mieux que personne l’art de s’accommoder aux circonstances. Dans sa jeunesse, au milieu des désordres de la Fronde, il avait commis quelques méfaits. Le plus grave fut que, rencontrant près de La Rochefoucauld le sieur Mathière, percepteur de la taille, il lui demanda des nouvelles de la recette et quand il portait son argent à Angoulême. Et le sieur Mathière lui ayant répondu que, lorsqu’il avait sept ou huit mille livres, il y faisait un tour, Gourville considéra, ce sont ses propres expressions, que la fortune lui présentait cette occasion pour favoriser ses desseins. Aussi, ayant laissé à la recette le temps de s’arrondir, quelques jours après, le pistolet à la main, il la ravit à l’infortuné percepteur.

Une fois les troubles de la Fronde terminés et l’ordre rétabli, Gourville eut le tort de ne pas comprendre que certaines démarches par trop risquées n’étaient plus de saison. Il fit cette