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très vite consolé, d’une de ses amies intimes a, ce me semble, froissé en elle certaines délicatesses et détourné son âme de ces liens où l’âme court tant de hasards. Et enfin, elle a lu l’Évangile et elle s’est éprise de Jésus.

Je suis un peu étonné du jour que jette cet épisode sur l’éducation des jeunes filles catholiques. L’auteur dit : « le hasard d’une lecture qui lui fit connaître les Évangiles eux-mêmes fit surgir devant elle et en plein relief une personne vivante, avec ses actes merveilleux, ses attitudes sublimes… » Ainsi Lucile a été élevée très religieusement, très pieusement, catholique par un père catholique et par des prêtres catholiques ; et ce n’est qu’à vingt ans et tout à fait par hasard qu’elle a lu les Évangiles ! Notez que je n’en doute pas ; car l’histoire est évidemment vraie ; mais je suis étonné qu’il en soit ainsi, du moins dans certaines régions, dans certains cantons du monde catholique.

Toujours est-il que Lucile respire à pleine âme le divin mystère de Jésus, se plonge de tout son être pensant et sensible dans l’atmosphère évangélique, est émue, est enthousiasmée, est illuminée d’une clarté nouvelle et enrichie d’une vie abondante qu’elle n’a jamais connue, du moins à ce degré. Sa vocation est décidée ; elle sera religieuse.

Elle entre au couvent. La vie de novice de Lucile est suivie, est analysée avec le plus grand soin et, ce me semble, avec la plus grande exactitude, comme elle le serait par un directeur de conscience ; c’est de beaucoup, à mon avis, la meilleure partie de ce livre, tout entier fait avec une extrême et presque une excessive conscience. Lucile traverse les phases d’ardeur mystique, d’espérance infinie, de crainte d’être indigne, d’aridité, selon le mot consacré, qui est si profondément juste, de retour à l’amour par acte de volonté, de plénitude enfin, d’abandonnement confiant et heureux, — « comme d’un petit enfant, » — au giron du maître. Elle prononce ses vœux définitifs.

Tout à coup, un éclat de tonnerre. L’État, cet État moderne que Destève a déjà rencontré, impérieux et mal éclairé sur ses desseins et qui voulait le déraciner pour un caprice, se dresse, plus redoutable cette fois, devant lui : la congrégation à laquelle appartient sa fille est expulsée.

Que fera-t-il ? Vieillir, seul, tristement, douloureusement, tragiquement, séparé de cela seul qu’il aime et de ce qui lui rappelle ce qu’il a aimé ? Il le sent ; c’est la mort prochaine ; c’est la mort, d’abord ; et c’est ensuite un deuil à infliger prématurément à cette fille si tendrement aimée et qui n’a pas mérité ce rude châtiment. Il se décide. Le groupe religieux auquel sa fille appartient va s’établir au Brésil. Il