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conseiller de l’empereur de Russie et professeur à l’Université d’Odessa ; sociologue et juriste éminent, il était aussi — ce qui est plus rare — un observateur sympathique des vieilles coutumes. Le code promulgué en 4855, au temps de Danilo, s’inspirait des idées philosophiques du Code français ; il était inapplicable au Monténégro. Chargé par le tsar Alexandre II de rédiger un nouveau code pour le Monténégro, Bogisic se garda de détruire — comme l’a si malheureusement fait notre code civil — l’antique constitution de la famille et de la propriété ; il se contenta d’y apporter plus d’unité et de clarté, tout en respectant le principe de l’ancienne organisation paysanne et en l’adaptant aux nécessités nouvelles. Le nouveau code fut promulgué en 1888 ; M. Bogisic en fit lui-même, dix ans plus tard, une édition révisée et, comme ministre de la Justice, il s’appliqua à résoudre les difficultés pratiques et à guider la jurisprudence. Son code, traduit dans toutes les langues, est l’objet d « l’admiration des juristes ; il a été, pour le peuple monténégrin, un très grand bienfait ; il l’a préservé, dans la mesure du possible, de la désagrégation dans la famille, prélude de l’anarchie dans l’État ; il l’a mis à l’abri de l’ébranlement dangereux que produisent les réformes hâtives, dans un pays très longtemps immobile. Le Monténégro et son prince ont à regretter, nous le verrons, de n’avoir pas, en matière constitutionnelle, procédé avec les mêmes précautions. Mais, pour faire comprendre le sens des crises politiques qui ont, en ces derniers mois, troublé la Principauté, il nous faut d’abord dire un mot de ses relations extérieures.


III

Avant le traité de Berlin, les relations extérieures du Monténégro n’étaient pas compliquées : entouré de tous côtés par les Turcs, il ne connaissait qu’un adversaire contre lequel, au nom de la Croix et de l’humanité, il faisait appel à tous les concours : Venise jadis, la Russie depuis Pierre le Grand, le Saint-Siège parfois, la France en 1857. Après 1878. le Monténégro devenait un Etat balkanique et adriatique ; sa position géographique, son énergie militaire, rendaient désirable son amitié, utile son alliance. Il n’est, dit-on, meilleur maître que la nécessité ; elle a fait, du prince Nicolas, l’un des plus avisés diplomates de son temps. Il a su, avec un art consommé, tirer parti, dans l’intérêt