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allez fonder, vaudra-t-elle plus ou moins que cette vieille Allemagne ensevelie dans vos victoires ? » Après un silence, l’Empereur ajouta : « On verra ce que le rêve de M. de Bismarck aura coûté à la Prusse ! Une bagatelle comme son existence... J’ai voulu l’alliance intime de la France et de la Prusse et la liberté du reste des pays germaniques qui seraient entrés dans notre alliance, l’un après l’autre. Il est d’une autre école. Il a préféré raviver la haine et les dissentimens entre nos deux pays et s’en servir pour subjuguer les autres Etats allemands. L’idée napoléonienne a succombé aujourd’hui devant la sienne. Mais l’histoire jugera laquelle des deux était la plus juste et la plus digne de la civilisation et de l’humanité ! »

C’est à de graves réflexions de ce genre que Napoléon occupait les loisirs de ses longues journées, attendant avec impatience, mais sans vouloir le montrer, l’heure de la délivrance. Le général de Monts remarque que, plus on approchait de la capitulation de Paris, plus la correspondance devenait active entre Versailles et Wilhelmshöhe, ainsi qu’en Suisse et en Angleterre. Quoique l’Empereur n’eût plus grand’chose à espérer, c’étaient des allées et venues continuelles de personnages comme le général Fleury, le préfet Pietri, le comte Clary, des dames de la noblesse française. On sait le rôle que joua alors la comtesse de Mercy-Argenteau qui était en quelque sorte, comme l’a dit Napoléon III lui-même, « le nouveau ministre des Affaires étrangères de l’Empire. » L’Empereur supportait tous les frais de ces pourparlers et faisait, dit-on, de grands sacrifices pour cela. Il aimait à entretenir Monts de la situation, et déplorant le sort tragique de la France, émettait parfois le souhait de ne pas revenir au pouvoir. « Quand je fis allusion au Prince impérial, dit Monts, son visage prit une expression sévère comme si tous les dangers auxquels le jeune empereur pouvait être exposé, surgissaient à ses yeux... Et cependant, de temps à autre, il reprenait confiance pour les siens et pour lui, mais il se montrait en général plus résigné qu’optimiste. » La tentative de suicide de Bourbaki l’affecta gravement : il par la alors de nouveau de Régnier et crut pouvoir attribuer le désespoir de Bourbaki à cette lamentable affaire qui avait eu sur sa destinée une si grande influence, ignorant alors tous les déboires qu’avait eu à subir l’infortuné général pendant la douloureuse campagne de l’Est.