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jusqu’à lancer des provocations et de violentes menaces devant sa demeure. Dans une conversation que Monts eut avec Bazaine en février 1871, le maréchal lui fit d’étranges confidences. Il n’attendait rien de bon, disait-il, pour la France, et il la voyait déjà en proie à l’anarchie. Il assurait que, peu de temps avant la guerre, l’Empereur lui avait parlé de son désir sincère de maintenir la paix, mais qu’il avait été circonvenu de tous côtés et forcé de céder à l’élan de l’opinion enthousiaste pour la guerre, ainsi qu’à l’avis de ses ministres qui, au dernier Conseil, lui avaient déclaré qu’on ne pouvait résister à cette opinion. Bazaine se montrait fort dur pour Palikao et Trochu. « Il considérait leur manière d’agir comme infâme. Quant à Gambetta, il disait que son gouvernement était une honte. » Tels étaient les jugemens de celui qui avait livré Metz et son armée à l’étranger ! Il se permettait de parler, avec une inquiétude affectée, de l’avenir de la France et prédisait mille maux à un peuple démoralisé par la défaite dont lui, Bazaine, était si responsable. Aussi longtemps que Gambetta et ses amis demeureraient au pouvoir, il ne croyait pas au l’établissement de l’ordre. Quant à lui, il restait, disait-il, « un serviteur fidèle et dévoué du pays et de l’Empereur. »

Monts, qui l’a observé attentivement, croit que son plan était de rétablir l’ordre en France avec ce qui restait de troupes, de renverser la République et de restaurer l’Empire. Il reconnaît qu’avant la guerre on ne prononçait déjà le nom de Bazaine qu’avec méfiance en raison de ses tristes aventures au Mexique et de son rôle louche et fâcheux durant cette campagne. Interrogé sur cette affaire, le maréchal eut l’audace de blâmer les ambitions exagérées de Maximilien qu’il avait abandonné et trahi. « Napoléon, disait-il, ne pouvait pas être rendu responsable de la conduite de cet empereur qui ne voulait point, par orgueil et par bravoure, quitter le Mexique. C’est une idée chevaleresque qui l’y a retenu, et son attitude l’avait rendu importun même à son frère François-Joseph. » Bazaine d’ailleurs ne ménageait guère Napoléon III dont il critiquait le caractère romanesque et peu pratique. Dans ses conversations avec le général de Monts, Napoléon lui confia que les maréchaux ne se plaisaient point à Cassel et songeaient à demander leur déplacement. Il laissait entrevoir que cette décision lui causait de la peine, car c’était lui qui avait demandé à les avoir près de lui. Il racontait que