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d’Espagne ne parlaient qu’avec respect de sa conduite, comme comtesse de Montijo. « Cette princesse, réellement digne d’intérêt, dit-il, était, au moment où elle vint à Cassel, si atrocement frappée, si maltraitée par la destinée qu’il ne venait à l’idée de personne de la trouver légère et superficielle. Les derniers événemens avaient, j’en suis assuré, mûri son âme. Dans tous les cas, en ce passage si rapide à Wilhelmshöhe, l’Impératrice ne m’a point paru telle qu’on me l’avait décrite. Il me semble encore voir en elle une femme que certainement la vie avait mûrie d’une façon précoce, enfin une femme judicieuse, prévoyante, consciente d’elle-même et de sa valeur, ajoutant à des formes gracieuses l’esprit et le cœur d’une épouse et d’une mère, qui considère l’intérêt public comme le sien. Nous éprouvions pour cette princesse infortunée une commisération très profonde, et cette commisération s’accroissait encore par l’idée qu’elle ne pouvait ne pas reconnaître qu’elle avait pour sa part contribué à attirer sur elle les coups d’une Destinée vengeresse. »

Monts ne crut pas alors devoir cacher au roi Guillaume la présence de l’Impératrice, et le Roi lui répondit aussitôt qu’à cet égard pleine liberté devait être laissée aux deux Majestés. Quant à lui, gouverneur de Cassel et du château, il n’avait nullement à intervenir. Le séjour de l’Impératrice fut d’ailleurs très bref. Arrivée le 30 octobre au matin, elle quitta Wilhelmshöhe le 1er novembre à 5 heures et demie du soir. Elle partit dans la direction de Hanovre, allant droit en Angleterre.

Le lendemain, les maréchaux Canrobert, Bazaine et Le Bœuf se rendirent au château. Monts remarque que Le Bœuf se tenait presque à l’écart, et cela par une volonté bien évidente. Le gouverneur le trouva grand, vigoureux et digne. Quant à Bazaine, il lui fit l’effet d’un vieux soldat sans énergie aucune. Le maréchal avait, paraît-il, oublié dans une auberge de Pont-à-Mousson sa bourse contenant 10 000 francs. Un sous-officier allemand la lui rapporta. Le maréchal lui offrit 25 thalers qui furent refusés. Monts, qui le vit plusieurs fois, remarqua bientôt en lui un caractère vacillant et une volonté incertaine. Aussi, ne s’étonnait-il pas de ses tergiversations et de ses hésitations à Metz et pendant la campagne. Bazaine habitait à Cassel, avec sa femme et ses deux enfans, une villa du faubourg de Cologne. Il sortait peu, de crainte des quolibets et des insultes. Les prisonniers français le détestaient, et l’un d’eux alla, un jour,