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cuisante la vanité, ou ce qui parut alors la vanité des efforts faits pour la libération de l’humanité, ceux-là invoquèrent le néant sur eux et sur les choses. De là le mysticisme et le scepticisme. L’Italie présente donc deux réponses à l’éternelle question qui tourmente les consciences, païenne l’une, et chrétienne l’autre. Il s’agit seulement de savoir comment elle est amenée à les donner, et comment, des sentimens locaux, des passions nationales même, sort l’élément humain.

Le pessimisme d’abord. Montrez-nous un homme que le sort accable ; dites-nous que la maladie l’a frappé dès sa jeunesse, et a fait de lui un infirme à vingt ans ; qu’avide d’amour, il n’a trouvé parmi les siens qu’indifférence ou hostilité ; qu’avide de gloire, il a été condamné à une vie obscure ; que l’acuité même de sa rare intelligence, que l’intensité de la passion qui bouillonnait en lui, n’ont servi qu’à rendre ses maux plus sensibles et plus insupportables, et que raconter sa vie, c’est faire le récit d’une longue douleur. Certes, nous compatirons à sa peine et nous ne lui marchanderons pas notre pitié. Mais, à vrai dire, le pessimisme que provoqueront ses souffrances ne nous convaincra pas complètement. Il nous restera toujours, pour le juger, un soupçon, et comme une inquiétude ; un cas particulier suffit-il à fonder un désespoir universel ? Et les malheurs d’un seul homme, si grands qu’on les suppose, si injustes qu’on le voudra, permettent-ils de conclure au malheur nécessaire de tous les hommes ? Autant vaudrait dire qu’une bonne santé, une honnête fortune, une existence exempte de soucis, légitiment l’optimisme. S’il existe un égoïsme du bonheur, l’égoïsme du malheur peut bien aussi se concevoir. Il faut, pour reconnaître à ce pessimisme la valeur d’une métaphysique, le justifier par des causes plus profondes. Sinon, nous l’assimilerons simplement à ce mal du siècle, qui a énervé tant de romantiques, et les a fait passer à travers la vie pâles et les cheveux au vent. Déjà nous avons peine à les comprendre ; et la sympathie qu’ils ont pu exciter jadis décroît, à mesure que le temps nous éloigne d’eux. Notre état d’esprit a changé ; nous leur conseillerions volontiers, s’il en était temps, de sortir d’eux-mêmes, de trouver dans l’action le remède à leurs passions, et dans le souci d’autrui le remède à leur égoïsme. C’étaient, nous semble-t-il, des pessimistes gratuits, qui s’affligeaient sans que rien les y obligeât, et qui pleuraient pour le plaisir de pleurer. comme les enfans. De