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LE MONTENEGRO ET SON PRINCE.

reste inerte ; Palmerston déclare « qu’il applaudira des deux mains en voyant les rebelles monténégrins châtiés par les troupes du Sultan. » Enfin la France prend l’initiative d’une intervention diplomatique qui arrête les Turcs et les fait consentir à la paix : ils obtiennent le droit d’élever des forteresses dans l’intérieur du pays ; le Monténégro semble retomber sous le joug. L’opinion française s’émeut des malheurs du petit pays, elle s’enthousiasme pour le jeune prince, elle envoie du blé, du maïs, pour ravitailler les montagnards mourant de faim ; une loterie, autorisée par le ministre Fould, aide le prince Nicolas à parer aux premiers besoins, puis à payer les fusils nouveaux avec lesquels son peuple combattit si brillamment pendant la grande crise de 1875 à 1878. Longtemps avant les Russes, le prince Nikita entre en campagne avec les Serbes pour aider les Herzégoviniens révoltés, il remporte de brillans succès et quand, enfin, les Russes se décident à entrer en lice, les Monténégrins sont avec eux ; ils tirent les premiers et les derniers coups de fusil, livrent six batailles et une infinité de petits combats[1]. À force de bravoure et de sacrifices, le prince Nicolas et ses Monténégrins avaient enfin gagné la pleine indépendance et les accroissemens de territoire que l’Europe allait leur marchander, mais qu’elle ne pourrait pas leur refuser entièrement.

Le traité de San Stefano agrandissait le Monténégro dans toutes les directions aux dépens de l’Herzégovine, du sandjak de Novi-Bazar et de l’Albanie ; les plénipotentiaires de Berlin, inspirés par Bismarck, préoccupés avant tout de ne point déplaire à l’Autriche, rognèrent, surtout du côté du Nord, la part du Monténégro ; il acquérait cependant quelques morceaux précieux, la plaine de Podgoritza, une partie des bords du lac de Scutari, le district d’Antivari. Nous avons raconté ici[2] comment le Monténégro ne put pas entrer en possession de tout son lot et comment, en échange de districts albanais, il reçut le port et le territoire de Dulcigno jusqu’aux rives de la Bojana. Nous aurons à revenir sur les conditions onéreuses que l’article 29 du traité de Berlin apporta, au profit de l’Autriche, au libre

  1. 25 800 Monténégrins avec 300 canons tiennent en échec 117 000 Turcs avec 307 canons ; les Turcs perdent 18 035 tués, 22 700 blessés, 20 000 morts de maladie, 4 095 prisonniers ; les Monténégrins perdent : tués 1 360, blessés 3 400, prisonnier 1.
  2. Voyez la Revue du 15 décembre 1909.