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certaines vérités trouvaient accès dans son âme. Mais il répétait que les catholiques, au Reichstag, avaient commencé l’agression : il était irrévocablement persuadé que son gouvernement n’était pas responsable de cette lutte. Se croyant ainsi attaqué, n’acceptant l’idée ni d’une retraite, ni d’une défaite, Guillaume, avec le temps, prendrait à l’égard des catholiques, non peut-être les sentimens, mais l’altitude d’un ennemi.

En cette même journée du 19 novembre, où Ketteler et Guillaume se quittaient sans s’être compris, Bismarck, présidant le Conseil fédéral, parlait en faveur de la proposition bavaroise et la faisait adopter. Lutz fut chargé de la défendre devant le Reichstag. Les nationaux-libéraux triomphaient, et comme unitaires et comme sectaires. Unitaires, ils avaient amené le gouvernement de Munich à invoquer le concours de la législation d’Empire pour passer outre aux résistances de la Chambre bavaroise. Sectaires, ils allaient mettre en branle, pour commencer la guerre religieuse, cette législation d’Empire dont le Centre, huit mois plus tôt, avait inutilement voulu se servir pour assurer la paix religieuse : ils allaient obtenir du même Reichstag, qui naguère avait refusé de garantir à l’Eglise certaines libertés, qu’on édictât contre l’Eglise certaines pénalités. Jusqu’à la dernière heure, ils avaient cru sentir que Bismarck, étranger à leurs passions philosophiques, avait quelque peine à marcher contre l’Eglise d’un pas aussi délibéré, aussi ferme, aussi rapide, que celui dont ils avançaient eux-mêmes ; et le sachant sujet à des soubresauts, à des saccades, ils s’étaient demandé, non sans émoi, quel effet produirait sur le chancelier la visite de Ketteler. Les nouvelles du Conseil fédéral les rassurèrent. « Bismarck, écrivait Bennigsen à sa femme, le 21 novembre, est heureusement demeuré inébranlable, devant toutes les tentatives de Ketteler. Il va engager la lutte contre Rome et les Romains d’Allemagne avec l’énergie qui lui est propre. Ces messieurs les Jésuites et leur séquelle, ignorante ou cultivée, nous ménageront sans doute, pendant beaucoup d’années encore, de très graves difficultés ; et pour en finir tout à fait avec eux, de façon que, dans le domaine de l’Etat, ils cessent d’être dangereux, il faudra beaucoup de temps, beaucoup de force, de la ténacité et de la prudence. » Dans cette lettre tout intime, le chef des nationaux-libéraux se révèle à nous comme pronostiquant avec une froideur calme et résolue les difficultés