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d’optimisme, considérait que les libéraux étaient en hausse et les Jésuites en baisse ; puisqu’il fallait lutter contre les Jésuites et que c’était là une question de puissance, et puisqu’il avait remis dans son portefeuille, comme inapplicable, certain projet dont il s’était avisé pour régler les droits des communautés sur les biens d’Eglise, il saisirait avec empressement l’arme que forgeait la Bavière, pourvu que tous les libéraux s’entendissent. Au nom des « conservateurs libres, » Zedlitz apporta son Amen. Et l’avis de Bennigsen, qui termina la causerie, fut que le « parti libéral d’Empire » devait mettre le projet sur pied et le communiquer aux autres fractions. Au rendez-vous suivant, le texte apporté suscita tant de réserves, et tant de défections aussi, que Lutz, laissant bavarder entre eux ces parlementaires, résolut définitivement de s’adresser au Conseil fédéral.

Le malaise des catholiques croissait. Ketteler était atrocement triste. Seul représentant de l’Eglise au Reichstag, il se sentait comme égaré dans ce Berlin où il n’y avait pas de cloches qui lui rappelassent Dieu, où il devinait autant de péchés et de vices qu’il voyait de pavés ; on ne parlait autour de lui que de motions contre les Jésuites ; il n’entrevoyait plus un seul motif d’espérer une résipiscence, et concluait d’un mot lugubre : « Toutes voiles déployées, nous allons à l’État sans Dieu. » Il tentait pourtant une suprême démarche. Le 16 novembre, il allait voir Bismarck. Le chancelier lui paraissait halluciné : le puissant auxiliaire des vieux-catholiques estimait, ce jour-là, que l’infaillibilité n’était qu’une chose secondaire ; mais l’Allemagne, disait-il, était en butte à un formidable plan d’attaque, concerté par Rome, appuyé par les catholiques de tous pays, et dirigé d’abord contre les provinces polonaises. Une sorte de fantôme se dressait devant l’évêque, et puis se dérobait, sans laisser à Ketteler aucune prise. Il n’y avait pas à discuter, ni à réfuter. L’évêque de Mayence crut que les articles très vifs de la Correspondance de Genève contre l’Allemagne donnaient lieu, peut-être, à ces imaginations du chancelier ; et bien que déjà, dans une lettre à la Germania, il eût tancé les excès de la Correspondance, il recommença, le 6 décembre, de dire avec quelque sévérité ce qu’il en pensait ; mais le fantôme avait la vie dure ; il plaisait à Bismarck d’avoir peur. Trois jours après, Ketteler vit l’Empereur, lui expliqua ce qu’était l’infaillibilité, ce qu’était le Syllabus. Guillaume parut plein de bon vouloir ;