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vérité nouvelle, il entrait, fatalement, quelque chose d’humain, un certain attachement à leur sens propre, un parti pris de tout essayer pour n’avoir point à battre en retraite, et même, si l’on veut, ce fanatisme inconscient du penseur qui tient à faire régner sa pensée. Mais au moment précis où leur opinion devient dogme, où leurs voix humaines se fondent et se perdent dans cette voix conciliaire que l’Eglise répute divine, ils ne sont rien de plus que des fidèles vis-à-vis de cette définition dogmatique dont ils furent en partie les ouvriers ; tout à l’heure ils se dressaient en disant : « Placet, cela est mon avis ; » maintenant, ils tombent à genoux en disant Credo, et voici qu’ils ont, à l’égard du nouvel article de foi, les mêmes devoirs que les hésitans, les mêmes devoirs que les rebelles. L’hommage de leur docte dialectique ne suffit plus ; cette définition réclame d’eux, comme de tous les autres, un acte d’humble croyance, un Amen agenouillé ; aux yeux des observateurs superficiels, ils avaient certains airs d’inventeurs, et les voilà qui redeviennent des enseignés ; l’article de foi, dans la genèse duquel ils eurent une part de labeur, nivelle toutes les obéissances, y compris la leur ; du coup, leur exaltation s’est purifiée, parce que la nature de leur adhésion a changé ; ils croient, non parce qu’ils pensaient hier ce qu’il faut croire aujourd’hui, mais parce que l’Eglise dit qu’il faut croire ; leur pensée personnelle, à la minute précise où elle semble triomphante, abdique devant la pensée collective d’un concile inspiré ; c’est ainsi que, dans l’intention de l’Eglise, la vérité dogmatique nouvelle ne se présente jamais comme l’insolent programme d’un parti victorieux, mais comme aspirant à être le partage de tous les esprits, le bénéfice de toutes les consciences, la richesse désormais séculaire de toutes les âmes.

De longs mois durant, l’âme de Hefele fut un champ de bataille sur lequel, peu à peu, de telles réflexions prévalurent. « Ce que j’ai à faire n’est pas obscur pour moi, écrivait-il à Dœllinger le 10 août 1870. Je ne reconnaîtrai jamais le nouveau dogme sans les limitations que nous désirons ; je nierai la liberté et la validité du concile. Les Romains peuvent me suspendre, ils peuvent m’excommunier ; peut-être Dieu aura-t-il la bonté de rappeler de la scène de ce monde le Perturbator ecclesiæ. » Et il appelait de ses vœux une résistance des évêques, une active protestation des savans. Il se rendait compte, le