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LA CROISSANCE DU CUIRASSÉ.

(dits filets Bullivant) qu’on immerge lorsque le navire est dans les rades ; ensuite les boucliers fixes installés comme sur le Césarewitch et le Danton, en avant de la vraie résistance de coque. Quelles que soient les difficultés d’arrêter, assez loin des œuvres vives, un engin comme la torpille, on peut supposer que le cuirassé trouverait encore dans son énormité même les ressources appropriées. Contre le sous-marin déjà la vitesse est une sauvegarde ; on entrevoit aussi la possibilité d’une surveillance exercée de haut, soit dans les mâtures, soit au moyen du ballon ou du cerf-volant. Quand on s’élève en effet assez au-dessus des vagues et qu’on regarde la surface de la mer perpendiculairement, on peut apercevoir et suivre les sous-marins en plongée, à la profondeur où ils naviguent d’ordinaire. Contre les torpilleurs, d’autre part, la vitesse encore, l’éloignement prudent des côtes, l’appui des flottilles de destroyers constituent une assurance préalable qui paraît actuellement suffisante dans la généralité des cas. Le cuirassé enfin se défend lui-même, tant du moins que les destructions du combat d’escadre n’ont pas trop diminué les moyens d’action de l’artillerie légère à tir rapide. Ainsi la torpille, portée par des bâtimens spéciaux, peut être mise hors de cause. Lorsqu’il faudra se défendre de celle que lancent au besoin les grands bâtimens, on cherchera, et sans doute trouvera-t-on des dispositifs protecteurs. Mais ne sera-ce pas nécessairement au prix d’une surcharge de poids et d’un encombrement nouveau, qui feront aux unités de cette époque une loi des énormes déplacemens, plus formidables encore que ceux d’aujourd’hui ?

Les inventions du génie humain permettent de transporter de plus en plus vite, de plus en plus loin sur la mer, et jusqu’auprès des côtes, des forteresses approvisionnées de ressources croissantes pour l’attaque et pour la défense. Toutes les armes s’y accumulent, sans limite, pourrait-on dire. Le progrès des bouches à feu, en étendant la portée de leurs atteintes mortelles accroît obligatoirement la distance du combat décisif : il faut bien frapper avant d’être frappé, c’est-à-dire déjà presque à l’horizon. Ce mouvement d’écartement continuera tant que l’obus accentuera son avantage sur la cuirasse. Mais, à vrai dire, la balance entre eux dépend de conditions dernières surtout