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à moins de 100 mètres. Mais depuis quelques années, la torpille a beaucoup gagné. En fixant sa trajectoire au moyen du gyroscope, qui l’empêche de dévier, en ajoutant à sa machine un réchauffeur d’air, en augmentant ses dimensions, on l’a rendue redoutable à 1 000 ou 1 500 mètres d’abord, puis à 2 ou 3 kilomètres, en attendant qu’on en soit à 5 ou 6, comme on l’annonce déjà pour un avenir tout prochain. À ces distances, le tir reste forcément assez aléatoire, du fait que le projectile flottant ne les parcourt qu’en quelques minutes. Sa vitesse extrême ne dépasse guère 40 nœuds, c’est-à-dire un peu plus d’un kilomètre par minute ; en moyenne, il fait moins encore. Entre le départ de la torpille et son arrivée, le but a donc eu le temps de se déplacer. Le pointeur peut bien tenir compte, dans une certaine mesure, de ce déplacement prévu ; mais s’il fallait toucher, comme avec l’obus, à 10 000 mètres, on doit supposer que le tir en deviendrait singulièrement plus incertain[1].

À ce défaut, des correctifs sont proposés. Les ondes hertziennes, qui rendirent possible la télégraphie sans fil, nous mettront sans doute bientôt à même de diriger sans contact un flotteur mobile comme la torpille. Les expériences récentes donnent à croire à certains qu’on est à la veille de résoudre le problème. Toutefois, à défaut de contact, il est alors indispensable de suivre par la vue le minuscule bateau porteur d’explosif, afin de le tourner sans cesse vers son but. Aisée aux petites distances, la chose devient plus difficile de loin. Et les marques trop apparentes, qui la faciliteraient, désigneraient aussi l’appareil au feu de l’artillerie légère ennemie.

Le jour où la torpille se montrerait d’un emploi réellement efficace aux mêmes distances extrêmes que le canon, le cuirassé se trouverait donc, en haute mer, aussi exposé à ses atteintes qu’il peut l’être aujourd’hui dans les passages étroits, particulièrement dangereux. Il n’est pas fatal cependant qu’il fût encore à sa merci. Les mêmes problèmes de pénétration, qui se sont posés pour l’obus, auraient à se poser pour la torpille. Il a fallu réaliser un projectile qui pénétrât au delà des défenses du navire pour éclater derrière elles. Contre l’explosion sous-marine, il est aussi des systèmes de protection. D’abord, les filets métalliques

  1. On annonçait néanmoins dernièrement que la marine italienne, coutumière des initiatives sensationnelles, étudiait un projet de grand navire cuirassé, armé de torpilles seulement. Il aurait porté une trentaine de tubes de lancement.