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LA CROISSANCE DU CUIRASSÉ.

d’heure tragique, après dix, peut-être cinq minutes d’une trombe de feu, plus terrible encore que celle dont Séménoff nous a laissé la description, l’un des partis se trouvera désavantagé ; l’équilibre des résistances ou matérielles ou morales apparaîtra rompu à son détriment, au profit du vainqueur futur. On juge par là de quel prix sont les instans, et quel intérêt hors de pair prend pour un amiral la rapidité des évolutions, donc la concentration de sa ligne de bataille. À cet égard, il est singulièrement utile de rapprocher sur une même unité les forces d’artillerie qui, réparties entre deux navires de moindre tonnage, auraient occupé dans l’escadre une longueur sensiblement double.

Ce bénéfice primordial n’est pas le seul à tirer de la même disposition des puissances offensives : elle en assure un autre, relatif au groupement du tir. Le moyen de vaincre est toujours et partout le même : il consiste à se procurer en un point important la supériorité momentanée. Vis-à-vis d’une flotte ennemie échelonnée à portée de canon, l’application directe du principe amènerait une escadre à rassembler toute la pression de son propre feu sur certains des anneaux de la chaîne adverse, pour les faire céder. On aboutirait donc à donner comme but à tous les bateaux d’une armée, ou du moins à un assez grand nombre d’entre eux, un seul navire ennemi. Malheureusement, il est alors difficile de régler en même temps le tir de deux bâtimens séparés. Ce réglage ne saurait être obtenu que par l’observation des points de chute des projectiles, et il devient presque impossible de distinguer ceux qui proviennent de chacun des bâtimens tireurs. Si ces derniers étaient non plus deux mais trois ou davantage, le réglage simultané se trouverait tout à fait impraticable. Pour être assuré de pouvoir toujours concentrer en un point le feu d’un certain nombre de canons, on n’a guère actuellement d’autre ressource que de les réunir sur le même navire.

Après s’être inquiété des dimensions excessives, souvent on s’effraie des dépenses exagérées qu’entraîne, dit-on, l’accroissement des tonnages. Nous remplaçons, il est vrai, les escadres formées d’unités de 12 000 tonneaux par d’autres constituées de

    ils devraient en un quart d’heure le frapper de trois cents gros obus ! Nous négligeons ici l’artillerie moyenne, dont le concours triplerait peut-être ce nombre.