Page:Revue des Deux Mondes - 1910 - tome 56.djvu/812

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
806
REVUE DES DEUX MONDES.

540 francs par jour, soit près de 11 francs par tête. Pourtant, elle ne comportait nul coulage : 600 grammes de pain, un litre et demi de vin par personne n’avaient rien d’excessif.

Lorsque le cardinal de Richelieu, mécontent de son neveu de Pont-Courlay, le général des galères qui avait excédé ses revenus, prend soin de régler lui-même sa dépense, il prévoit 15 000 francs par mois pour la table, la nourriture des chevaux et l’entretien de la maison (1630). C’eût été, pour les 30 personnes auxquelles avait été « borné son train, » une dépense de 16 francs par jour dont les vivres feraient bien la moitié. Dans la propre maison du cardinal, les chiffres étaient plus modestes : la cuisine de 21 pages et de leurs 15 valets paraît coûter, sans le vin ni le dessert, 4 fr. 50 par tête ; mais le menu, en général des plus vulgaires, est assez court les jours maigres où l’exiguïté de l’omelette n’est compensée que par « un bon plat de morue. »

En province, à la campagne, lorsque le coût de l’alimentation semble modeste, il faut prendre garde que la cuisine est des plus médiocres : le comte de Ribeaupierre nourrit les hôtes de son domaine d’Alsace, au nombre de 85, maîtres et gens, pour 2 fr. 50 par tête ; seulement, la consommation individuelle ne ressort qu’à 250 grammes de viande, et l’on usait moins de

3 kilogrammes de beurre par jour pour 85 personnes, tandis qu’en 1910, un propriétaire rural en consomme proportionnellement sept fois plus, sans excéder d’ailleurs la dépense moyenne du châtelain d’il y a trois siècles.

L’ordinaire est-il plus abondant, comme à Turin chez le duc de Savoie (1698), où les filles d’honneur avaient droit à une ration quotidienne de 5 litres et demi de vin par tête, que, j’imagine, elles n’étaient pas tenues d’absorber en personne ; la table est-elle plus soignée, comme à Montbéliard (1721), chez le prince de Wurtemberg, propriétaire de ce fief franc-comtois, la nourriture d’une cinquantaine de personnes ressort ici à 4 francs par repas, c’est-à-dire à 8 francs par jour. Les ordonnances de maximum de la fin du XVIe siècle fixaient à 7 fr. 80 le prix d’un souper à la table d’hôle des auberges, et le code Michaud (1629) défendait aux entrepreneurs de festins de prendre plus de 15 francs par tête ; ce qui nous permet d’augurer que ces chiffres étaient souvent dépassés, même par les établissemens modestes. À Paris, dans les cabarets de luxe fréquentés