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L’ÉVOLUTION DES DÉPENSES PRIVÉES.

le kilo et en 1840, à Paris, une livre de petits-fours se payait 4 francs.


VI

J’emprunte ce chiffre aux comptes d’une famille de médecin aisé qui habitait dans le quartier de la Bourse et dépensait à cette époque une quinzaine de mille francs par an. En parcourant ces registres vieux de soixante-dix ans et promus déjà au rang de documens historiques, on est frappé de ce fait qu’au milieu du règne de Louis-Philippe le plus grand nombre des denrées de luxe coûtaient aussi cher qu’aujourd’hui et quelques-unes davantage, bien que le franc de 1840 vaille plus que le franc de 1910.

Pour les dîners de 15 à 16 couverts qu’il donnait de temps à autre, et qui venaient de chez un marchand de comestibles en renom, ce ménage payait une dinde truffée 35 francs, un homard ou un pâté de foie gras 16 francs, un saumon ou un turbot 36 francs, un filet de bœuf 14 francs, un faisan et 4 pluviers 23 francs. Un « fromage glacé » lui était compté 10 francs, une gelée d’orange 7 francs. De même les vins et liqueurs, le Madère ou le Malaga à 6 francs, le Bordeaux et le Volnay à 4 ou 5 francs, le Champagne à 4 fr. 50, la Chartreuse à 8 francs la bouteille, ne paraissent pas différer des prix actuels.

A beaucoup d’égards, la famille dont il s’agit vivait alors tout autrement qu’elle ne vivrait en 1910, et nous verrons plus tard, en étudiant les divers chapitres du budget privé, que ce qui a changé surtout, c’est la quantité et non pas le prix des dépenses ; c’est le train et non pas le coût de la vie. Au point de vue de la table, qui nous occupe ici, le résultat est plus sensible qu’ailleurs et il l’est davantage pour l’ouvrier que pour le bourgeois, parce que tous deux maintenant mangent de ces confitures que le premier ignorait jadis.

L’un et l’autre sont devenus d’ailleurs plus difficiles ; les petits bourgeois du Paris de 1780, afin d’épargner 10 sous de bois dans la cuisine, envoyaient leur viande aux fours des pâtissiers, à qui ils donnaient 2 sous pour la cuisson ; mais le rôti, souvent brûlé, se refroidissait au coin de la borne où les marmitons insoucieux le déposaient. En remontant le cours des siècles, un examen attentif de l’ordinaire des riches et du peuple démontre