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pieds de muscadiers et de girofliers qui périrent presque tous. Deux ans après, il recommença avec deux vaisseaux ; les Hollandais armèrent de leur côté pour se défendre, mais trop tard, et les deux navires revinrent chargés d’un butin pacifique d’arbustes arrachés à Ceylan et au Malabar. Plantés dans le jardin royal de l’île, ils donnèrent des muscades françaises, expédiées à la Cour en 1779, dont une fut présentée solennellement à Louis XVI.

Si la baisse moderne des épices n’offre guère d’intérêt aujourd’hui où riches et pauvres n’en usent guère, il n’en est pas de même du mouvement des prix d’autres substances telles que le sel, le sucre, l’huile ou le vinaigre. Nous devons à leur vulgarisation la « cuisine unifiée, » uniformisée, dont se nourrissent nos contemporains. C’est la bonne révolution, créatrice et extensive, gratifiant la foule des biens qu’un petit groupe seul possédait. La révolution contraire, compressive et suppressive, qui s’efforcerait d’anéantir les biens_, apanage de quelques-uns, faute de pouvoir les donner à tous, aurait, en admettant qu’elle fût praticable, le grave défaut d’être très inconfortable pour la masse. Le but à atteindre est donc d’augmenter la somme des jouissances que le travailleur peut se procurer avec le prix de sa journée. Et par quels moyens, sous quelles influences peuvent être accrues ces jouissances ?

Nullement par l’élévation artificielle des salaires monnayés. Prît-on soin de tarifer les marchandises par des lois de maximum à l’exemple des rois du moyen âge ou des assemblées de la Révolution, ce serait comme si l’on pensait élever la température en chauffant le thermomètre. Les choses rares seront toujours chères, les choses produites en petite quantité seront toujours rares ; les prix ne sont qu’un thermomètre et, tant qu’on ne peut décréter l’abondance, qui est « la cause, » il est bouffon de prétendre décréter le bon marché, qui est « l’effet. »

Par voie réglementaire et coercitive, on peut toutefois créer la cherté : c’est le résultat qu’avait obtenu l’ancien régime avec l’impôt des gabelles. Nous avons encore des « gabelles » en 1910, puisque, sur les 45 millions de francs par an que déboursent actuellement les Français pour leur sel, 33 millions entrent dans les caisses de l’Etat. Mais les Français du temps de Richelieu, — quoique deux fois et demie moins nombreux, — payaient 130 millions de francs. Cette charge, qui serait peu de