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Jusqu’à Louis XVI les seuls gobelets répandus étaient d’une pâte verte, opaque et grossière, semblable à celle de nos bouteilles d’aujourd’hui ; vers 1782, on parvint à les établir en verre blanc pour le même prix. Ce n’étaient pourtant pas les « manufactures » qui manquaient ; la France d’il y a deux et trois cents ans en comptait peut-être plus que la France actuelle, la Normandie seule avait une douzaine de verreries. Ce ne devait pas être la matière première, sable ou chaux, qui faisait défaut ; seule la soude, qui entre pour un quart dans la composition et que l’on tirait jadis des cendres de plantes marines, était beaucoup plus coûteuse.

Mais ces verriers, qui savaient faire des coupes de formes multiples, les orner d’oiseaux et de fleurs, les poser sur des piliers en lacs d’amour, n’étaient pas parvenus à établir à prix abordable de simples gobelets en verre blanc. Le gobelet de bois, au moyen âge, variait de 0 fr. 15 à 0 fr. 70 centimes ; le « godet » de verre se payait de 1 fr. 20 jusqu’à 0 fr. 30 centimes. Celui-ci devait être bien médiocre et peu engageant pour n’avoir pu se faire préférer, par les classes bourgeoises, au fer-blanc ou à l’étain. Lorsque apparut, au commencement du xviie siècle, le « cristal raffiné, » j’ignore s’il se composait comme aujourd’hui d’un tiers d’oxyde de plomb (minium) ou d’autres substances ; mais je vois que le verre de cristal valait près de 3 francs, il ne pouvait donc être de vente courante.

Les bouteilles étaient aussi un article de luxe. Celles de verre semblent inconnues jusqu’à la fin du xive siècle ; il s’en fait pour les riches en argent ou en ivoire, et plus modestement en diverses peaux comme les outres antiques : 5 à 6 francs étaient le prix d’une bouteille d’encre en cuir (1384). À cette époque les bouteilles de verre, destinées au vin, se vendaient 10 francs ; elles ne valaient plus que 2 à 3 francs au milieu du xve siècle et 0 fr. 60 au début du xviie ; mais elles demeurèrent à ce chiffre jusque vers la fin de l’ancien régime. Sous la Restauration, les bouteilles et les verres communs valaient encore trois fois plus cher que de nos jours.

Ce qui caractérise notre xxe siècle, ce n’est pas l’apparat ou l’élégance du service ; nous avons même renoncé à des complications qui ravissaient nos aïeux. Nous ne plaçons plus sur la table, comme au moyen âge, des fontaines d’argent d’où le vin sortait par la gueule de lions et de léopards ; nous ne cachons