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l’ingénieur qui ont radicalement transformé l’industrie céramique. Il en est résulté un accroissement énorme de la production ; elle a doublé de 1880 à 1890 et triplé de 4890 à 1910. Cependant, évaluée en argent, la fabrication accuse une hausse peu importante ; c’est que chaque objet a singulièrement baissé de prix : à Limoges, qui compte 40 manufactures dont une seule livre par jour 20 000 assiettes, le même service de 42 couverts en porcelaine fine décorée de fleurs, qui valait 300 francs en 4870 et 120 francs il y a vingt ans, coûte aujourd’hui 60 francs. Porcelaine ou faïence, si l’humanité est toujours soumise par la loi de nature à manger son pain à la sueur de son front, elle peut désormais manger dans une assiette propre.

Il n’en allait pas ainsi autrefois : les écuelles du peuple étaient en bois, aussi bien que ses cuillers et ses gobelets ; la domesticité n’en avait pas d’autres chez les princes. À la réception de Philippe de Valois par le duc de Bourgogne, il est acheté 20 000 écuelles de bois pour la suite ; sans doute les maisons royales en avaient-elles à profusion. Mais comme cette vaisselle de bois coûtait aussi cher qu’aujourd’hui la faïence blanche ordinaire, — 0 fr. 15 environ, — les paysans, les ouvriers, n’avaient pas le moyen de renouveler souvent ce matériel aux graillons tenaces, assez dégoûtant à l’user.

Argent, étain ou bois, ces trois types nettement tranchés du service de table de jadis ont également disparu. L’ennui d’un travail constant, assez parfait et assez bien dissimulé pour que les ingrédiens et les outils qu’il exige ne communiquent aucun mauvais goût au métal, a détrôné les assiettes d’argent au profit de la porcelaine, chez les riches, — sauf dans les dîners de cérémonie, — et, pour les mêmes motifs, l’étain a été abandonné par la classe bourgeoise, devenue plus raffinée. En effet, quoique les seigneurs cossus eussent des argentiers, ceux-ci n’avaient pas le loisir de se livrer, dans l’intervalle des repas, à ce brunissage laborieux à la pierre, faute duquel l’assiette d’argent, livide et mal débarbouillée, rayée en tous sens et balafrée par les traces du couteau, devient une somptuosité assez malpropre.

Certes, il subsiste encore, quant à la valeur vénale et au mérite artistique, autant de distance dans notre république, entre certaines pièces conservées du vieux Sèvres et le biscuit blanc de nos faïenciers, qu’il pouvait y en avoir entre le « bassin » de vermeil d’une princesse du moyen âge et l’écuelle de bois du