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ornée d’un ange à chaque bout, pesait 31 kilos, un baquet soutenu par des sirènes, des bassins, des flacons, des vases à couvercles, par douzaines et demi-douzaines, représentant chacun des cinq et six kilos.

Il n’est pas jusqu’à la grande salière d’or, donnée par la Ville de Paris, qui ne pesât près de quatre kilos ; même en métal blanc, une pareille salière n’eût pas été méprisable, et cela nous explique que plus tard, dans un voyage de Charles VI en Languedoc, la salière d’argent de ce prince ayant été égarée, la Cour aussitôt s’arrête à Béziers et l’on envoie des courriers à Narbonne et à Valence, « pour faire crier la salière du Roi qui était perdue. »

Ce mobilier précieux de Charles V, hérité de ses prédécesseurs, lentement accru par les « joyeux » dons des sujets, par les conquêtes ou par les rançons des villes menacées de pillage, nous n’en pouvons fixer la valeur ; l’inventaire détaillé ne contient aucune appréciation. Le prix des pierres fines, perles et camées, celui du travail de l’orfèvre qui dépassait à cette époque tous les autres arts industriels, est donc inestimable. Nous ne savons même pas le poids total d’or et d’argent ; celui de beaucoup d’articles et de montures ayant été omis par les rédacteurs du document. Cependant, en faisant le relevé des poids indiqués, on arrive déjà en monnaie actuelle au chiffre de quatorze millions de francs, dont plus de 11 millions pour la vaisselle d’or et près de 3 millions pour celle d’argent et de vermeil[1].

  1. L’or et l’argent sont évalués dans cet article, suivant ma règle constante : 1° d’après la valeur de la livre-tournois en francs légaux, — de 4 grammes et demi d’argent fin monnayé ; — 2° d’après le pouvoir d’achat actuel de ce franc, comparé à son ancien pouvoir. Ce mode de conversion appliqué à l’argent-vaisselle, qui a perdu comme marchandise la moitié de sa valeur officielle en monnaie, peut prêter à la critique. Cependant le système consistant à appliquer, à la vaisselle d’argent de jadis, le prix commercial de 1910 conduirait au pur arbitraire. Il est beaucoup d’objets d’argent dont le poids et le titre sont inconnus, dont le prix seul est mentionné. Surtout, il faut considérer que le prix à établir, c’est celui que valait la vaisselle autrefois, le prix qu’elle a coûté naguère, et non pas celui qu’elle se vendrait présentement. Or la vaisselle d’argent de nos pères a été payée en une monnaie de compte, — la livre-tournois, — qui représentait indistinctement de l’or ou de l’argent, à des époques où l’argent avait, commercialement, la valeur que notre système monétaire continue de lui attribuer légalement, ou même une valeur plus grande relativement à l’or, lorsque, par exemple, le rapport des deux métaux n’était au moyen âge que de 1 à 12.