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En Russie, les deux clergés, le « noir » et le « blanc, » le régulier et le séculier, le premier voué au célibat, le second marié, sont tellement séparés par le genre de vie, par les habitudes, souvent par les idées et les tendances que, si un Concile national doit représenter les vœux et les besoins du clergé, il importe que les simples prêtres, que « le clergé blanc » y ait accès à côté des évêques, d’ordinaire issus du « clergé noir. » Bien plus, le clergé lui-même en tant que corps, on pourrait presque dire en tant que caste, vit socialement et moralement isolé de la nation, de telle façon qu’il ne saurait prétendre à représenter le peuple orthodoxe. Veut-on que la voix de ce dernier puisse se faire entendre du futur Concile, qu’il puisse, lui aussi, y exposer ses vœux, ses besoins, ses aspirations, il faut qu’il puisse y déléguer ses représentans. Les promoteurs de la convocation du Concile y réclamaient ainsi une place pour les délégués des laïques, aussi bien que pour ceux du bas clergé. Désirait-on que le Concile fût efficace et ouvrît à l’Eglise une ère nouvelle, il fallait, à les entendre, que le corps même des fidèles y fût représenté, à côté des évêques et des deux clergés.

Ces prétentions ont beau nous sembler peu conformes à la tradition et aux canons orthodoxes, elles étaient d’accord avec les tendances de la majorité des Russes, avec la conception même que, sous les influences protestantes ou rationalistes, la plupart des orthodoxes se font aujourd’hui de l’Eglise. Elles étaient faites pour embarrasser les membres de la commission chargée de préparer la réunion du Concile. La commission ne pouvait méconnaître les vœux de l’opinion. Elle admit que le futur Concile devait être ouvert aux représentans du bas clergé et des laïques sans oser, par respect des canons et de la tradition, les mettre sur le même rang que les évêques, dépositaires des pouvoirs apostoliques. S’ils ne pouvaient obtenir les mêmes droits que les évêques, les délégués du bas clergé et des laïques pourraient prendre part à l’étude, même à la discussion des questions posées à la sainte assemblée. Sans avoir voix délibérative[1], ils pourraient parler, plaider leur cause, défendre leurs idées et leurs droits ; et comme les séances devaient être publiques ou les discours être publiés, on pouvait être certain que les vœux des simples prêtres ou des orateurs laïques ne seraient

  1. On eût ainsi imité les Starovères qui, dans leur récent concile de Rogogski ont admis les représentans des laïques et du bas clergé avec voix consultative.