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dire asservissement de l’Eglise, de l’épiscopat, du clergé au gouvernement et à l’administration. Ce n’est point, comme le répète à tort le vulgaire, que l’Eglise russe ait pour chef le Tsar ; les souverains russes, au rebours des rois d’Angleterre, n’ont jamais assumé un tel titre, ni une telle fonction. L’Eglise, d’après l’enseignement orthodoxe, n’a qu’un chef invisible, le Christ ; mais, étant liée à l’Etat, placée sous la protection de l’Etat, elle est naturellement tombée dans la dépendance de l’Etat. Et l’Etat russe étant, depuis des siècles, un Etat autocratique, on comprend combien étroite et lourde a dû être cette dépendance.

Aujourd’hui que la Russie entre à son tour au nombre des Etats constitutionnels, alors que l’autocratie, maintenue nominalement en droit, n’est plus entière en fait, une des questions qui surgissent, devant cette Russie en voie d’évolution, si lentes qu’en semblent les réformes, est celle même de l’Eglise d’Etat. Que va devenir, avec le régime nouveau, en face d’assemblées politiques électives, cette antique Eglise russe, cette vieille mère de la Sainte Russie ? Alors que tout s’éveille, que tout s’agite autour d’elle, va-t-elle seule demeurer immobile et muette ? Quand, de la Russie de Pierre le Grand, il ne survit, presque partout ailleurs, qu’un souvenir, doit-elle rester enfermée à jamais dans le cadre rigide aux formes surannées où l’a emprisonnée, contrairement aux canons ecclésiastiques, la rude main du réformateur laïque ? Quand, de toutes parts, dans le vaste Empire, on s’efforce, — en vain, il est vrai, le plus souvent, — de secouer le joug de l’omnipotence bureaucratique, l’Eglise, éternellement rivée à l’Etat, va-t-elle se résigner à être toujours administrée par les bureaux de Pétersbourg, comme une branche des services publics ?


II

Certes, les liens séculaires qui enchaînent l’Eglise à l’Etat sont trop forts, sont trop conformes aux mœurs nationales, aussi bien qu’aux traditions gouvernementales ou ecclésiastiques, pour être entièrement et brusquement rompus ; mais, sans les briser ou même les dénouer, ne pourraient-ils être un peu relâchés, dans l’intérêt commun des deux parties ?

L’étroite solidarité, si longtemps maintenue entre le temporel et le spirituel, entre le pouvoir autocratique et la hiérarchie