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insistantes qui iraient contre leur but ; des insinuations répétées qui laissent sous-entendre des articulations graves. Il faut voir avec quel art, comme en passant et sans avoir l’air d’y toucher, elle décoche contre ses ennemis le trait aiguisé, envenimé. Un jour, en post-scriptum d’une lettre, elle jette ces mots : « Prends garde à Campo-Chiaro et à Livron. » Campo-Chiaro a failli occasionner par ses retards et son manque de parole la perte du royaume ; Caroline ne néglige aucune occasion de le ruiner dans l’esprit de son mari. Livron le fournisseur lui paraît un homme dangereux, dont le jeu n’est pas clair : « Prends bien garde à Livron ; il y a dans tout cela un micmac que je ne puis comprendre, mais j’ai de bonnes raisons pour te le dire. Fais ton profit de cet avis ; il est plus important que tu ne penses. » Au reste, à en croire la Reine, elle ne s’abaisse pas à haïr un être tel que Livron ; ce qu’elle en dit n’est que pour l’information du Roi et le bien du service. De même, si elle accuse d’autres personnes, elle recommande à Murat de lui garder le secret et de ne point la nommer, de ne lui attribuer aucun motif d’animosité personnelle : « Je pouvais faire du mal aux personnes qui m’en ont fait beaucoup, qui t’ont indisposé contre moi, » mais elle dédaigne d’agir par esprit de vengeance. Ce qu’elle demande au Roi, c’est simplement de se dégager d’influences malicieuses et de suivre son propre sentiment, qui est toujours juste et droit ; qu’il prenne conseil de lui-même plutôt que de confidens subalternes ou de ministres suspects !

Contre le ministre Zurlo, elle emploie la tactique qui a réussi à Zurlo contre elle ; elle l’accuse de vouloir gouverner sous le nom du monarque : « Est-ce donc M. Zurlo qui est roi ? » Voilà un argument qui manque rarement son effet auprès de l’ombrageux Murat. Quant à l’ennemi capital, Maghella, d’autant plus redoutable qu’il agissait masqué, la Reine écrivant à Murat se gardait d’en prononcer le nom ; s’abstint-elle d’agir à l’insu de Murat et par voie détournée ? En sa qualité de Français, Maghella restait sous les prises de l’Empereur. En mars, un ordre impérial lui enjoignit brusquement de quitter Naples et de rentrer sur le territoire français, d’y rentrer dans le délai d’un mois, à peine de rébellion. Cette façon de lui ravir son préfet de police causa au Roi un nouvel accès de désespoir et lui valut plusieurs jours de fièvre. Il s’en plaignit douloureusement à sa femme ; celle-ci joua l’étonnement et fit celle qui ne savait