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c’est-à-dire de la « mare stagnante » où il a pris naissance et où il va se retremper. Sa crainte est de la retrouver plus habitée qu’il ne le voudrait, en d’autres termes, d’y rencontrer des concurrens plus ou moins redoutables. Aussi a-t-il pris toutes les précautions pour les vaincre, et la première a été de ne rien changer aux conditions électorales qui lui ont été si favorables dans le passé.

Nous avons déjà parlé, il y a quinze jours, du tour de passe-passe au moyen duquel on s’efforçait d’empêcher d’aboutir la loi sur les fraudes du scrutin. La comédie a continué à la Chambre, et le dénouement en a bien été celui que nous avions annoncé. Eh quoi ! on voulait supprimer la fraude électorale, ou du moins la rendre plus difficile ! Beaucoup d’esprits subtils se sont ingéniés pour empêcher ce résultat de se produire, et nous avons le regret de constater que M. le président du Conseil les y a adroitement aidés. On croirait vraiment que la Chambre actuelle lui plaît en elle-même, et qu’il serait désolé de la voir défigurer par le pays. Alors, à quoi bon tant de discours dont nous avons les oreilles encore pleines, celui de Périgueux notamment ? Si la Chambre est parfaite, pourquoi dénoncer son origine ? Pourquoi accuser ses mœurs politiques ? Nous l’avons dit, des trois précautions imaginées contre la fraude, une seule subsistait, l’enveloppe qui devrait contenir le bulletin : on a trouvé que c’était encore trop, et qu’il fallait se débarrasser de ce dernier et frêle obstacle. M. le président du Conseil a déclaré alors qu’il faudrait si longtemps pour fabriquer 50 millions d’enveloppes que la loi ne serait applicable qu’à la condition d’être votée dans la huitaine. Mais, encore une fois, quel empêchement y avait-il à faire les élections quinze jours plus tard ? On aurait eu alors le loisir de fabriquer les 50 millions d’enveloppes. Quoi qu’il en soit, le Sénat a voté l’enveloppe, et la loi est revenue à la Chambre. Une discussion sur un objet devenu si mince ne pouvait pas durer longtemps ; alors on s’est souvenu qu’il y avait dans les cartons parlementaires un vieux projet de loi sur la corruption électorale, et on a déclaré, avec un grand air de vertu effarouchée, que la corruption étant encore pire que la fraude, c’était par elle qu’il fallait commencer. Par malheur, ou plutôt par bonheur, car on savait bien à quoi s’en tenir à cet égard, la loi, qu’on avait négligée pendant plusieurs années, était fort loin d’avoir atteint le point de maturité où elle pouvait être votée par les deux Chambres. Elle soulevait un grand nombre de problèmes dont la solution était difficile, peut-être même impossible. C’était précisément ce qu’il fallait : si la session avait continué, la discussion de la