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de gagner quelque diminution de taille aux dépens de son voisin, ne le dénonce promptement... » Ainsi, pour recueillir les données nécessaires à l’établissement de l’impôt, l’administration offrait une prime à la délation et ne craignait pas de faire appel aux sentimens les plus bas de la nature humaine.

Afin d’être fixé sur la valeur pratique du système de la taille proportionnelle, le duc de Noailles décida de faire procéder à un certain nombre d’épreuves, nous dirions aujourd’hui de sondages. Suivant ses instructions, les intendans désignèrent dans chaque élection plusieurs paroisses et firent un essai des nouveaux règlemens. Les résultats obtenus furent peu concluans. En fonctionnaires soucieux de ne point se compromettre, la plupart des intendans évitèrent de tenter l’expérience dans des localités importantes et se bornèrent à faire évaluer les revenus imposables de quelques communautés rurales, où nulle difficulté n’était à prévoir. L’intendant de Bordeaux, M. de Courson, n’usa point de ces ménagemens ; il opéra avec une entière indépendance d’esprit et ne craignit pas de s’élever vivement contre les projets du ministre. Son rapport conservé aux Archives nationales est, à cet égard, fort intéressant.

On veut, dit M. de Courson, améliorer la répartition de l’impôt, faire cesser « les rancunes et l’animosité » que la taille arbitraire soulève chez les paysans. Pareil objet est digne de louanges, mais le projet du Conseil ne fera nullement cesser le mal auquel on veut remédier. Sans doute, il sera possible d’estimer le revenu moyen des terres en blés, fourrages, bois, etc., mais comment évaluer les produits accessoires de la basse-cour, la volaille, le lait, le beurre, les œufs, qui dans certaines fermes sont d’un rapport considérable ? Comment apprécier le bénéfice de ces métayers du Périgord a qui dressent des cochons pour trouver des truffes ; » de ces habitans des Landes qui font le commerce des palombes et des ortolans ? Les profits de l’agriculteur sont essentiellement variables ; on ne peut, sous peine d’injustice, conserver indéfiniment les mêmes rôles ; quelles complications, quelles dépenses s’il faut en faire de nouveaux chaque année, suivant que les récoltes auront été bonnes ou mauvaises ! Au demeurant, conclut M. de Courson, « les peuples no seront point soulagés » par les réformes projetées ; ils ne bénéficieront d’aucune diminution d’impôt et supporteront les mêmes charges sous une autre forme.