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REVUE DES DEUX MONDES.

Cette lettre, écrite dans sa première partie sous la dictée de l’Empereur, dégageait parfaitement l’invariable point de vue sous lequel il envisageait ses rapports avec le royaume de Naples : ses communications, ses injonctions officielles tendaient en même temps à établir juridiquement sa thèse. Que Murat se reconnaisse roi vassal, roi sujet, c’est toujours l’exigence péremptoire ; le royaume membre de l’Empire, partie intégrante de la grande unité, partie pourvue d’une administration distincte et d’organes séparés, mais tenue à se relier et à se subordonner très étroitement au mouvement d’ensemble, voilà quelle doit être la base des rapports en droit comme en fait. L’autonomie du royaume en ce qui concerne ses règlemens intérieurs, l’Empereur l’admet ; quant à reconnaître en lui un Etat indépendant, simplement allié et auxiliaire, jamais !

La Reine ne contestait nullement cette manière de voir et engageait son mari à l’adopter : « Si tu étais une bonne fois persuadé que l’Empereur ne veut ni ne désire la réunion, mais qu’en qualité d’Empereur du grand Empire, il ne s’astreindra jamais à traiter d’égal à égal avec les rois de son Empire, si tu avais cette idée-là toujours bien présente, tu t’éviterais bien des désagrémens, des périls… » En principe, Murat n’admettait nullement la théorie impériale ; tout au moins demandait-il que ses obligations vis-à-vis de l’Empire fussent nettement définies et spécifiées. Cependant, comme en fait il paraissait s’assouplir, accordait des satisfactions, montrait notamment quelque bonne volonté à hâter les constructions navales au profit de la France, l’aigu de la crise était passé ; Caroline se flattait désormais de ménager entre l’Empire et le royaume des rapports possibles, à la condition que Murat renonçât une bonne fois à ses intempérances de plume, à sa manie écrivassière, à ses curiosités et correspondances illicites :

« 5 décembre 1811. — J’ai vu hier l’Empereur qui m’a demandé avec beaucoup d’intérêt de tes nouvelles, je suis sûre qu’il est fort content de toi et de la manière dont tu te conduis pour les constructions et pour tout. Ne sois plus inquiet sur son attachement, je suis sûre que tu en auras bientôt des preuves. Le sujet de son courroux est le décret et que les Français ne sont pas bien à Naples ; les correspondances que tu as à Paris ainsi que celles de M. Lechat t’ont fait grand tort. Imagine-toi bien que toutes correspondances publiques ou particulières