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Hammarby, la maison de Linné. Sa devise se lit au-dessus de la porte : Innocue vivito, numen adest. Les dépendances, peintes en rouge, ont un toit de tourbe où les herbes verdissent et jaunissent. Devant le marronnier, un rond-point de fleurs vieillottes entremêle savamment les soucis, les pensées, les giroflées, les gueules-de-lion, et ce réséda dont il voulait toujours que sa chambre fût parfumée. La petite maison paysanne emprunte une étrange fragilité aux objets fragiles qu’elle tient en sa garde. Il semble qu’un siècle et demi y ait tout amenuisé : le poêle en faïence verte de la salle à manger qui s’appuie sur des pieds de bois ; le canapé dont l’âge a roussi le cuir ; les tables écaillées, les vitrines, les lits étroits sous leurs rideaux à fleurs. Quand on ouvre les armoires et qu’on y voit suspendus l’habit de doctorat du professeur, un habit chamarré de brocart aux manches à revers, les robes de bal de sa femme et de ses filles, et leurs bas de soie et leurs minuscules souliers de danse, on craint qu’un souffle d’air ne pulvérise ces frêles apparitions. Vous vous étonnez devant les glaces fendues de ne pas avoir les cheveux poudrés. Des héros grecs et des nymphes pâlissent au fronton du miroir où se miraient les demoiselles Linné ; et dans leur boîte à musique, détraquée et même un peu vermoulue, une belle dame imposante, gravée la main sur un livre, prononce ce distique :


J’enchante les esprits, je charme les oreilles,
Et par mes doux accords je me rends sans pareilles.


Elles étaient quatre, les demoiselles Linné ; et leurs portraits nous les montrent les cheveux relevés et piqués d’une fleur rose et d’une aigrette verte. Elles ont, toutes les quatre, le nez long et busqué de leur père, le visage rose de leur mère, de petites lèvres roses et des yeux en amande plus mélancoliques chez les trois aînées, plus gais chez la cadette. Elles portent, toutes les quatre, un corsage à fleurs ; et les murs sont tapissés de fleurs ; et toute la maison, à travers ses carreaux verdâtres qui tamisent le soleil d’automne, luit doucement de ces fleurs fanées et du regard des portraits. La chambre du fils Carl s’éclaire sur la forêt. On aperçoit, au milieu des sapins, des sorbiers et des bouleaux, le pavillon construit en terre où Linné se plaisait à conduire ses hôtes. Ils s’asseyaient à l’entour sur des rocs moussus et l’écoutaient causer. La forêt abrite des vents de