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de « voleurs » et d’« usurpateurs » n’étaient pas proférées, elles se lisaient sur les murs. Ici, sur un las de charbon, un pair, d’hermine vêtu, au profil sémite, jongle avec les sacs d’or, que lui rapportent les mining royalties, la propriété de la surface, tandis qu’au loin les usines fument, soufflent et peinent. Là, un Lord, couronne en tête, brandit le roc du protectionnisme, au-dessus d’une chaumière paisible, d’où sortent, affolés, vieillards, femmes et enfans. Plus loin, un vieux pair, édenté et ridé, aux doigts crochus, cache sous son manteau de gala des tas d’or : « C’est le travail dont nous ne voulons pas. » Et dans un coin, un chômeur pâle et maigre crie : « C’est du travail qu’il nous faut ! »

Ces gravures publiées par des journaux modérés, ces paroles prononcées par des ministres importans n’ont pas produit tout l’effet escompté. Certes, partout où, faute d’un contact direct, le Lord apparaît comme le membre mystérieux de je ne sais quel « Conseil des six, » — dans les villes industrielles du Nord-Est et du Nord-Ouest, — cette campagne a déterminé un courant d’hostilité. Encore est-il que, faute d’un mot d’ordre, d’une formule de ralliement, cette irritation s’est manifestée de manières différentes. Les ouvriers, plus pressés, demandent la suppression pure et simple. Les Ecossais, fidèles aux traditions du libéralisme, réclament l’abolition de la pairie héréditaire et la réorganisation de la Chambre Haute. Les cadres anglais de l’armée radicale reprennent le programme de sir H. Campbell Bannerman : dépouillés de leur veto, les Lords ne seront plus qu’une relique du passé féodal, comme le justaucorps de Black Rod ou la perruque du Speaker.

Ces trois solutions ont laissé parfaitement indifférente une masse électorale dont les radicaux avaient le droit d’escompter la gratitude. Depuis le jour où, en 1884, ils lui ont donné le bulletin de vote, le journalier agricole, dans les comtés du Centre et du Sud, est resté fidèle au libéralisme démocratique. Il craint le pain cher qui bouleversera son modeste budget. Il aspire au lopin de terre qui rendra sa vie moins précaire et plus libre. Il fréquente, avec le boutiquier du village, la petite chapelle méthodiste, pauvre et laide. Il y prie et il y prêche. Depuis quatre ans, sa dette, vis-à-vis des radicaux, s’est accrue. La loi