Page:Revue des Deux Mondes - 1910 - tome 56.djvu/546

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

les libertés nouvelles, pour s’opposer à l’extension des droits civils ou politiques de ceux qu’ils regardent comme des adversaires. Les Finlandais, les Polonais, les Israélites, tous ceux que les Russes réunissent sous le nom d’inorodtsy ou d’allogènes, risquent d’en faire l’amère expérience. Il vient de se former, à la troisième Douma, entre l’extrême Droite et les Octobristes, un groupe « national » dont le programme inquiète tous les sujets russes étrangers à la foi orthodoxe. Si la liberté religieuse n’intéressait que les catholiques, les protestans, les juifs, les musulmans, l’édit de tolérance d’avril 1905 pourrait courir le péril de n’être bientôt plus que lettre morte. Par bonheur pour l’avenir prochain de la Russie, il n’en est rien. Les Russes les plus nationalistes ne peuvent ignorer que, parmi leurs compatriotes de sang russe, il en est des millions qui repoussent l’autorité de l’Eglise officielle, réclamant le droit d’adorer Dieu et de servir le Christ librement, selon les usages de leurs ancêtres et les exigences de leur conscience. À ces dissidens de sang russe, les Russes, nous le verrons, n’osent plus guère disputer la liberté religieuse. Et comme la liberté est contagieuse, comme il est malaisé de la parquer dans un enclos, il est permis d’espérer qu’elle finira par s’étendre à tous les habitans de l’immense Empire, et qu’elle saura contribuer, pour le bénéfice de tous, au rapprochement des hommes et des races dans la commune patrie.


ANATOLE LEROY-BEAULIEU.