Page:Revue des Deux Mondes - 1910 - tome 56.djvu/541

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

lois électorales ne prirent pas la religion en considération, si bien que les catholiques, les Arméniens, les musulmans, même les parias de la législation russe, les Israélites, se sont trouvés électeurs et éligibles, tout comme les orthodoxes. Ainsi s’explique comment les deux premières Doumas ont compté chacune plusieurs députés juifs. Le coup d’État impérial qui a profondément altéré, avant les élections de la troisième Douma, le régime électoral employé pour les deux premières[1], a bien indirectement restauré un privilège pour les Russes orthodoxes, en diminuant le nombre des députés dans les provinces où les dissidens sont en majorité, en créant, dans ces mêmes régions, des curies spéciales privilégiées pour la minorité russe orthodoxe ; mais le décret qui a enlevé à la Pologne et au Caucase les deux tiers de leurs représentans indigènes n’a pas osé établir, officiellement, entre les sujets russes, des distinctions ou des incapacités fondées sur la seule différence de religion. Les Juifs sont ainsi restés électeurs et même éligibles, quand ils appartiennent par ailleurs aux groupes auxquels le nouveau régime électoral reconnaît des droits électoraux.

Ces droits, il est vrai, tels qu’ils ont été réduits par le coup d’État de 1907, les Israélites, ne formant partout qu’une minorité, ne peuvent guère en tirer parti. Si, depuis la mort de M. Pergament, député d’Odessa, il y a, dans la troisième Douma, un ou deux députés d’origine juive, je ne sais s’il en reste un seul demeuré juif[2]. Cela n’est pas assez pour les « Hommes Russes, » ni pour l’intransigeance des plus ardens nationalistes. Ces remuans agitateurs, dont les violences intimident trop souvent les ministres, jugent scandaleux que, dans la Sainte Russie, des Juifs puissent avoir des droits politiques. Ils font valoir que la concession du droit de vote à des Israélites est contraire à toutes les traditions russes, en même temps que contraire à toute saine logique. Quelque répulsion que soulève l’intolérant exclusivisme de ces soi-disant patriotes de la « Ligue des Hommes Russes, » sur lesquels pèse l’assassinat du député Herzenstein, force nous est de reconnaître qu’en contestant aux Juifs

  1. Voyez dans la Revue du 15 septembre 1907 notre étude intitulée : la Russie devant la troisième Douma, et le livre récent de M. Pierre Chasles : le Parlement russe, Rousseau, Paris, 1910.
  2. Il faut faire exception pour M. Brodski, élu récemment à Odessa, mais dont le gouverneur de cette ville poursuit l’invalidation devant le Sénat.