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édictés par le ministre Ignatief, durant les premières années du règne d’Alexandre III. Remonter d’un tiers de siècle en arrière, ramener la législation et l’administration russes aux pratiques du règne d’Alexandre II constituerait un progrès notable. Ce progrès par le retour au passé, le retour à une époque plus tolérante, où, sans avoir été supprimées, les plus vexatoires des lois contre les Juifs n’étaient pas toujours rigidement appliquées, on ne semble pas l’oser effectuer. En un pays où il y a, d’habitude, tant d’accommodemens avec la loi et avec l’administration, les lois contre les Juifs sont presque les seules dont on se croit tenu d’exiger le respect. C’est ainsi que, en ces dernières semaines, à Riga, à Kief, à Yalta, jusqu’au Turkestan, des administrateurs zélés viennent de prendre des arrêts d’expulsion contre des centaines de familles.

De temps en temps, il est vrai, on annonce qu’il va être procédé à la refonte ou au moins à la réforme de cette législation. On y fait espérer quelques adoucissemens ; jusqu’à présent, rien de sérieux n’a été fait, rien même n’a été proposé à la Douma. On ne saurait regarder comme une mesure de quelque importance le léger relèvement de la proportion des Israélites qu’il est permis d’admettre dans les établissemens d’enseignement moyen. Certes, une mesure générale en ce sens ne serait pas sans valeur ; mais il faudrait, pour lui reconnaître quelque prix, qu’elle eût assez d’ampleur pour avoir quelque efficacité. Or, tel n’est pas le caractère du nouveau règlement ; s’il est une réforme, elle est si mince que les intéressés ne sauront trop s’ils doivent s’en réjouir ou s’en attrister, car ils semblaient en droit d’attendre mieux. Puis, s’il relève légèrement le nombre des Juifs admis en certaines écoles, le nouveau règlement a le grave défaut de confirmer le principe de la limitation du nombre des Juifs dans les écoles publiques, les gymnases, les universités. Or, cette limitation, qui ferme à tant de leurs enfans l’accès du haut enseignement, est une des choses dont se plaignent le plus amèrement les Juifs de toute profession et de toute opinion. Ces barrières dressées par la loi, contre les fils et les filles d’Israël, à l’entrée des écoles publiques, sont une invention d’origine relativement récente. Les renverser serait une de ces mesures libérales, pacificatrices, qui enlèveraient aux Israélites un de leurs griefs les plus crians, sans apporter aucun trouble, ni dans la vie économique, ni dans la vie politique de l’Empire