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Comment, après cela, s’étonner si, en Pologne, le mécontentement est général, la désaffection, presque universelle ? En détruisant toutes les espérances polonaises, les déceptions de ces deux ou trois dernières années ont complètement retourné l’esprit public[1]. Les partis modérés se sentent impuissans ; leurs chefs sont découragés ; l’attitude du gouvernement impérial les a pour longtemps discrédités. L’opinion se répand dans toutes les classes que, pour les Polonais et pour les catholiques, il n’y a rien à espérer du gouvernement russe. Qui peut se réjouir d’un tel revirement ? Ce ne sont, à coup sûr, ni les patriotes russes éclairés, ni les amis de la Russie. La politique de compression vis-à-vis des Polonais ne peut bénéficier qu’aux ennemis du gouvernement et aux adversaires de la puissance russe, aux révolutionnaires à l’intérieur, aux ambitions allemandes ou autrichiennes au dehors. Les révolutionnaires ne se font pas faute de répéter aux Polonais : « Nous vous l’avions bien dit ! » et quant à la politique allemande, on sait qu’en Russie même, nombre de nos amis attribuent l’intransigeance du gouvernement impérial vis-à-vis des Polonais à la pression ou au moins à l’ascendant de Berlin sur Pétersbourg.

On se demande comment, au lendemain des manifestations de fraternité slave de Pétersbourg, de Prague, de Varsovie, comment, à l’heure où la Russie cherche à reprendre sa légitime influence sur les Slaves d’Orient, elle s’aliène si légèrement le cœur de ses sujets slaves de la Vistule. Les retentissantes démonstrations du « néo-slavisme » auxquelles se sont associés tant de Russes des divers partis n’ont fait qu’accentuer, aux yeux des peuples, le désaccord de la politique intérieure avec la politique étrangère du grand Empire[2]. C’est que, alors même

  1. Sur cette situation et sur le revirement de l’opinion en Pologne dans ces derniers temps, voyez, outre l’article de MM. Marins et Ary Leblond : la Question polonaise dans l’Empire russe (Revue du 1er déc. 1909), le récent ouvrage de M. Dmowski : la Question polonaise, traduit par M. V. Gasztowt (librairie Colin), et aussi la Politique russe en Pologne de M. Ermann Piltz, brochure en russe et en polonais, d’autant plus instructive qu’elle est due au groupe des Ougodowtsy et à un des écrivains polonais les plus désireux d’une réconciliation.
  2. Nous devons faire remarquer que l’irritation des Polonais contre la politique russe menace de compromettre ce mouvement néo-slave et, avec lui, l’entente des Slaves d’Autriche. Malgré les efforts méritoires de M. Kramarj aux conférences de Pétersbourg, les Polonais, déçus dans leurs espérances et se regardant comme toujours sacrifiés, semblent décidés à se tenir désormais à l’écart du mouvement et résolus à ne pas prendre part au Congrès slave de Sophia, en juillet prochain.