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n’osaient y croire. Popes et fonctionnaires ne leur avaient-ils pas, jusque-là, répété que, étant d’origine petite-russienne, ils étaient tenus d’avoir le même culte que le tsar russe ? Aussi lorsque, au printemps de 1905, ils apprirent que, tout comme les pans (les seigneurs) polonais, ils pouvaient impunément se dire catholiques, fréquenter l’église du rite latin, beaucoup imaginèrent que le tsar Nicolas avait quitté l’Église orthodoxe et embrassé la foi catholique. Pour les détromper, il fallut que les popes envoyassent à Pétersbourg une mission, afin de constater que, tout en accordant la liberté à ses sujets, l’Empereur était demeuré lui-même orthodoxe. Malgré cela, un grand nombre de ces anciens uniates abandonnèrent l’Eglise officielle pour passer à l’Eglise catholique romaine. S’il leur avait été permis de revenir à l’Union, presque tous sans doute l’eussent fait avec joie ; car, pour ces esprits simples, comme pour la plupart des Orientaux, la foi se confond avec les rites. Mais la liberté accordée par l’oukase de tolérance n’allait pas jusqu’à autoriser le rétablissement du culte grec-uni. Leurs anciennes églises restant aux mains des popes schismatiques, les uniates, qui voulaient sortir du schisme et rentrer sous la suprématie romaine, ne pouvaient le faire qu’en délaissant les rites de leurs ancêtres et la liturgie gréco-slave, pour passer, de la tserkiev russe, au kosciol polonais, à l’église latine. Si douloureux que leur fût ce sacrifice, des dizaines de milliers de paysans, des villages presque entiers l’accomplirent

L’abrogation forcée du dernier diocèse uniate, suscitée par la haine du polonisme, menaçait ainsi de tourner au profit des Polonais et de la « foi polonaise. » En adoptant le rite latin, ces paysans ruthènes risquaient de se poloniser. Pour écarter ce péril, l’administration, venant au secours des popes orthodoxes, s’efforce d’arrêter le mouvement de retour à Rome, en intimidant les paysans, en s’appliquant à les ramener, de nouveau, à l’Eglise officielle. Ces malheureuses victimes d’une longue persécution risquent d’être frustrées des bénéfices de l’oukase de tolérance de 1905. Afin de pouvoir, plus facilement, les enchaîner au schisme ou les y rattacher, l’administration impériale vient de reprendre un projet, plusieurs fois mis en avant par les plus acharnés ennemis des Polonais, et, jusqu’ici, repoussé par la prudence des ministres. Elle se propose d’enlever au royaume de Pologne les districts des gouvernemens de Lublin et de Siedlce,