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l’oukase impérial et le vote de la Douma, demeurent peut-être les deux actes les plus significatifs de la Russie nouvelle, parce qu’ils sont tous deux inspirés de ce qu’il y a de plus élevé dans l’esprit moderne. Souhaitons pour le bien de la Russie, comme pour l’honneur de son gouvernement, qu’elle ne recule pas trop longtemps devant l’achèvement de cette œuvre d’émancipation et de pacification. La liberté religieuse est chose si précieuse et si féconde qu’elle ne profite guère moins à ceux qui l’accordent qu’à ceux qui la reçoivent. Loin que tout le bienfait en doive être pour les dissidens, l’Eglise nationale y trouverait ce dont elle a un besoin impérieux, un principe de rénovation et de relèvement.


I

Les premiers à bénéficier de l’édit de tolérance d’avril 1905 ont été les catholiques, surtout les catholiques de rite grec qui, de tous les sujets du Tsar, étaient ceux qui avaient le plus durement souffert du régime de russification par la religion. Leur culte avait été biffé de la liste des cultes admis dans l’Empire ; leur dernier diocèse avait, sous Alexandre II, été supprimé par oukase ; leurs églises avaient été livrées à un clergé qu’ils regardaient comme schismatique ; leurs personnes et leurs familles restaient, malgré leurs larmes et leurs protestations, inscrites sur les registres de l’Eglise d’Etat ; et l’administration, la police veillaient à ce qu’ils ne pussent recevoir aucun sacrement, aucun secours religieux, des prêtres catholiques.

Les catholiques du rite latin, pour la plupart Polonais ou Lithuaniens, avaient d’habitude conservé la liberté religieuse personnelle. Il n’y avait guère d’exception que pour ceux d’entre eux auxquels l’administration ou le clergé orthodoxe découvraient quelque ancêtre grec-uni. Ces malheureux étaient, de par la loi, arrachés à l’Eglise qui les avait baptisés pour être officiellement rattachés à l’Eglise d’Etat qu’aucun sujet russe, une fois inscrit sur les registres des popes, n’avait le droit d’abandonner. Plus heureux que ces infortunés, les catholiques qui ne comptaient pas d’uniates parmi leurs aïeux pouvaient demeurer librement catholiques, suivre en paix le rite latin. Ils se plaignaient, il est vrai, et souvent à bon droit, tantôt d’être dépossédés