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REVUES ÉTRANGÈRES.

Ainsi finit, tout prosaïquement, cette dernière incarnation de l’un des types immortels de notre humanité. Et ce n’est pas seulement, l’originalité de sa fin, — don Juan puni de ses forfaits par Leporello, au lieu du Commandeur, — qui nous autorise à réserver pour la pièce de M. Rittner une place à part, entre toutes les œuvres consacrées à l’étude de ce type glorieux : jusque dans les moindres nuances de sa physionomie d’amoureux-poète, le don Juan de l’auteur viennois nous offre une individualité à la fois très « moderne » et très humaine et vraie, qui ne nous permet point de le confondre avec aucune des autres figures inspirées, avant lui, du même idéal.


Romantique et « lyrique » au plus haut degré, avec cela aussi peu allemand que possible, le héros de M. Rittner est un don Juan qui, toujours, prend plaisir à raisonner sa folie. Écoutons-le répondre à son frère, l’éminent gynécologue, qui lui demande ce qu’il peut bien y avoir, à ses yeux, dans ces femmes qu’il ne se relâche pas de vouloir conquérir : « Hé ! mon cher ami, je ne le sais pas encore ! C’est précisément ce que, toute ma vie, je m’efforce vainement de découvrir. J’ai l’air de savoir beaucoup de choses là-dessus : en réalité, je ne sais rien. Tantôt ce qu’il y a dans la femme m’est apparu d’un bleu de ciel ! avec un clair tintement de cloche matinale, et tantôt je l’ai entendu me railler dédaigneusement, avec un bruit de soie froissée. Tantôt son parfum m’est apparu blond, et puis, une autre fois, d’un brun avec des reflets de feu. Mais, au fond, qu’est-ce que c’est ? Peut-être me faudra-t-il encore une ou deux éternités pour arriver enfin à en être instruit. Ce qui est sûr, c’est que je ne néglige rien pour l’apprendre, et n’ai pas d’autre souci au monde ! » Ou bien, lorsque son secrétaire le complimente de ce que son regard fait épanouir la beauté des femmes : « Non, mon ami, la vérité est que je la tue ! Cette Christine que j’ai tenue dans mes bras tout à l’heure, je la regrette comme un fou ! C’est elle que tu me vois pleurer ! — Mais si monsieur le baron le désire, elle reviendra sans faute ! — Non, mon ami, elle ne reviendra jamais plus ! car la personne que j’ai quittée, à l’instant, n’est plus Christine ! Elle s’est jetée à mes pieds, elle est devenue humble et douce. Ce n’est plus, désormais, qu’une pauvre créature qui me supplie de l’aimer ; et la vue de cette odieuse humilité me poursuivra toujours comme un spectre. Ce qu’il y avait de beau en elle, la fière et hautaine comtesse, je l’ai détruit ! Et c’est toujours ainsi ! Toujours la fatalité veut que je détruise, dans les femmes, l’unique beauté dont j’ai soif en elles ! » Ce mélange constant d’exaltation passionnée et de réflexion iro-