Page:Revue des Deux Mondes - 1910 - tome 56.djvu/459

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
453
REVUE MUSICALE.

simple, primitive, avant même que par l’esprit symphonique elle ne commence à se développer et à s’accroître.

Les variations ne sont ici qu’au nombre de cinq, mais de plus en plus considérables par l’étendue autant que par la profondeur. La dimension comme la durée de chacune fait la difficulté, qu’on peut d’abord éprouver, de la suivre, de la saisir, de l’embrasser tout entière. Nulle part cependant l’idée, mère et maîtresse, ne manque ou seulement ne faiblit ; partout


invisible et présente,
Elle est de ce grand corps l’âme toute-puissante.


Âme contemplative au début, mais qui, par degrés, s’émeut et s’agite. Dès la première variation, la basse, se rompant en triolets syncopés, en notes disjointes, communique une vague inquiétude à la mélodie. Et celle-ci, perdant elle-même de son calme, tantôt s’appuie encore, franchement et d’aplomb, sur ses notes fondamentales, tantôt au contraire vacille et ne porte déjà plus, comme à faux, que sur d’autres, qui lui sont extérieures, si ce n’est étrangères.

Seconde variation : le sentiment s’anime et se passionne encore davantage. Le rythme, transformé, se brise en éclats aigus, et les notes, pointées plus sèchement s’entre-choquent avec plus de rudesse. En un mot, on voit, on entend s’accentuer ici la contradiction ou le conflit intérieur dont la musique de Beethoven est, plus que toute autre, l’éternelle et pathétique figure.

Elle le représente au paroxysme dans la variation qui suit (n° 3). Tumultueuse entre toutes, celle-ci n’est qu’une série d’assauts et d’écroulemens. Rien n’y tombe, et de si haut ! que pour remonter, puis retomber encore. Plus large de mesure, elle couvre des espaces plus vastes de noies plus nombreuses et précipitées avec une sorte de fureur. Aucun art ne possède et ne manifeste au même degré que la musique le pouvoir miraculeux des métamorphoses. Nul autre n’est plus un et plus divers. Le thème, à présent, est si loin et si près de nous à la fois ! Sous des apparences ou des espèces opposées, il persiste, il subsiste identique, ainsi qu’un visage serein et courroucé tour à tour.

La quatrième variation ramène le calme, sinon la joie encore. Elle le rétablit d’abord en bas, dans les profondeurs. Pacem summa tenent. Mais, autant que les sommets, la paix habite les abîmes. Lentement elle s’en exhale et monte. Un dernier épisode, je ne dirai pas la trouble, mais l’attriste et l’assombrit. Interrompues, éparses, les