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Nemorosa, déesse des bois, d’après le nom que le programme lui donne, à moins qu’elle ne le soit de la source, que nous voyons couler à ses pieds. Elle attire le bûcheron par ses chants, par ses regards, et le livre à ses compagnes, qui, doucement enlacent, puis entraînent sous les flots de quelque « mare aux fées » le martyr des eaux et forêts.

Pour défendre la musique en cette affaire, on n’a pas manqué de crier haro sur le poème. On a eu tort. Premièrement, il n’y a si pauvre livret qui ne puisse prêter à la musique, ou plutôt que la musique ne soit capable d’enrichir, à condition qu’elle ne soit pas elle-même encore plus indigente. Les exemples abondent, parmi les chefs-d’œuvre, d’oripeaux, de haillons littéraires, que la musique a fait resplendir. Au fond, en tout opéra, la chose principale, sinon la seule, c’est, et sous des formes changeantes ce sera toujours, la musique. Aussi bien ce poème sylvestre, à défaut de « situations » ou de drame, n’était pas si dépourvu de poésie, d’une musicale, ou « musicable » poésie. La musique a seule ici tous les torts. Le premier est qu’elle empêche constamment la parole d’être entendue. Pour l’auditeur il n’y a pas de pire supplice. Il n’y en a pas non plus que nous épargnent moins les musiciens d’aujourd’hui. Au commencement du drame lyrique était le verbe. Nous voilà terriblement loin de ce commencement et le verbe n’habite plus parmi nous. On ne saurait trop citer la fameuse distinction de Grétry : « Il y a chanter pour chanter et chanter pour parler. » On ne chante plus ni de l’une ni de l’autre manière. Après le chant, l’art lyrique a désappris même la parole. Autant que notre ordre politique souffre du « tout à l’État, » notre ordre musical souffre du « tout à l’orchestre. » Dans l’un comme dans l’autre, le nombre commande et la foule est maîtresse, trop souvent maîtresse d’erreur. Sans compter que la parole a vu s’élever contre elle encore d’autres ennemis : après les instrumens qui l’étouffent ou l’écrasent, les intervalles qui la disloquent et la torturent, les intonations qui la forcent et qui la faussent. Je m’étonnais, en écoutant, — quand j’arrivais par hasard à l’entendre, — la déclamation de M. Savard, qu’on réussisse à noter des mots avec des sons qui leur ressemblent aussi peu, qui même leur répugnent davantage, qui, loin d’en exprimer le sens et le sentiment naturel, n’arrivent, au prix de quelle recherche et de quel effort ! au moins en apparence, qu’à les dénaturer et à les démentir.

Si du moins une musique de ce genre, n’étant pas le chant, ni le discours, était la symphonie ! Un tel sujet l’y invitait entre tous. Mais elle n’en approche en rien, ou par rien : ni par le développement des