Page:Revue des Deux Mondes - 1910 - tome 56.djvu/438

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
432
REVUE DES DEUX MONDES.


Ce n’est pas la langueur, ce n’est pas la faiblesse
Qui me fait vous louer et vers vous me conduit,
Mais l’exaltant soleil comblé de mes caresses
Quand mon esprit souffrait l’a laissé dans la nuit.

J’ai vu que tout priait, le désir et la plainte,
Que les regards priaient en se cherchant entre eux,
Que les emportemens, le délire et l’étreinte
Sont la tentation que nous avons de Dieu.

Je ne puis l’expliquer, mais votre éclat suprême
Semble être mon reflet au lac d’un paradis,
Un soir je vous ai vu ressembler à moi-même
Sur la route où mon corps par l’ombre était grandi ;

C’est toujours soi qu’on cherche en croyant qu’on s’évade,
On voudrait reposer entre ses bras bénis,
Votre amour et le mien jamais ne rétrogradent,
Et je m’entoure enfin de mon cœur infini.

Je le sais, mes pas sont enlizés dans le sable,
Tout le poids de la vie est retenu au sol,
Mais la flèche du cœur va vers l’inconnaissable
Et l’esprit ébloui accompagne ce vol ;

Je ne veux plus revoir ce trop humain désastre
Qui m’avait assourdie et me crevait les yeux,
Ces nuits où la douleur m’apparentait aux astres
Par l’effort éloigné, vain et silencieux ;

La détresse a besoin d’une immense étendue,
D’une voûte où l’amour coule jusqu’aux deux bords ;
Une ardeur sans espoir n’est plus interrompue,
Et l’espace est moins haut que son plaintif essor.

C’est pourquoi, les yeux clos aux lueurs de la terre,
Délaissant ma raison comme un trop faible ami,
Je vous bois, ô torrent dont le feu désaltère,
Dieu brûlant, vous en qui tout excès est permis.


Csse de Noailles.