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REVUE DES DEUX MONDES.


Ne bouge plus, ton souffle impatient, tes gestes
Ressemblent à la source écartant les roseaux.
Tout est aride et nu hors de mon âme, reste
Dans l’ouragan de mon repos.

Quel voyage vaudrait ce que mes yeux t’apprennent
Quand mes regards joyeux font jaillir dans les tiens
Les soirs de Galata, les forêts des Ardennes,
Les lotus des fleuves indiens ?

Hélas ! quand ton élan, quand ton départ m’oppresse,
Quand je ne peux t’avoir dans l’espace où tu cours,
Je songe à la terrible et funèbre paresse
Qui viendra t’engourdir un jour.

Toi si gai, si content, si rapide et si brave,
Qui règnes sur l’espoir ainsi qu’un conquérant,
Tu rejoindras aussi ce grand peuple d’esclaves
Qui gît, muet et tolérant.

Je le vois comme un point délicat et solide
Par-delà les instans, les horizons, les eaux,
Isolé, fascinant comme les Pyramides,
Ton étroit et fixe tombeau ;

Et je regarde avec une affreuse tristesse,
Au bout d’un avenir que je ne verrai pas,
Ce mur qui te résiste et ce lieu où tu cesses,
Ce lit où s’arrêtent tes pas !

Tu seras mort, ainsi que David, qu’Alexandre,
Mort comme le Thébain lançant ses javelots,
Comme ce danseur grec dont j’ai pesé la cendre
Dans un musée au bord des flots.

J’ai vu sous le soleil d’un antique rivage
Qui subit la chaleur comme un céleste affront,
Des squelettes légers au fond des sarcophages,
Et j’ai touché leurs faibles fronts.