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Poésies


I



Tu vis, je bois l’azur qu’épanche ton visage,
Ton rire me nourrit comme d’un blé plus fin,
Je ne sais pas le jour, où, moins sûr et moins sage,
Tu me feras mourir de faim.

Solitaire, nomade et toujours étonnée,
Je n’ai pas d’avenir et je n’ai pas de toit,
J’ai peur de la maison, de l’heure et de l’année
Où je devrai souffrir de toi.

Même quand je te vois dans l’air qui m’environne,
Quand tu sembles meilleur que mon cœur ne rêva,
Quelque chose de toi sans cesse m’abandonne,
Car rien qu’en vivant tu t’en vas.

Tu t’en vas, et je suis comme ces chiens farouches
Qui, le front sur le sable où luit un soleil blanc,
Cherchent à retenir dans leur errante bouche
L’ombre d’un papillon volant.

Tu t’en vas, cher navire, et la mer qui te berce
Te vante de lointains et plus brûlans transports.
Pourtant, la cargaison du monde se déverse
Dans mon vaste et tranquille port.