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alors absent. Mais ces témoignages de bienveillance n’étaient que comédie. À cet égard, sa lettre du 29 août 1807 est significative.

« Tout ce sang répandu ne l’a été que pour combler la gloire de Bonaparte et pour l’affermir sur le trône. Savez-vous, maman, que cet homme me paraît comme un séducteur libertin qui, de gré ou de force, fait passer toutes les belles dans ses bras ; la Russie, comme la plus vertueuse, s’est longtemps défendue, mais elle a franchi le pas comme une autre et c’est peut-être autant à la séduction qu’à la force qu’elle a cédé dans la personne de l’Empereur. Il a un secret attrait pour son séducteur qui perce dans tout. Je voudrais bien savoir quelle est la magie dont se sert Napoléon pour métamorphoser les opinions si subitement et à un tel point… Malheureusement, ce n’est que l’Empereur et une petite partie du public que le séducteur a conquis ; le gros a, jusqu’à présent, des opinions et des sentimens entièrement opposés, et plus l’Empereur montre d’attachement à son nouvel allié, plus il le distingue dans la personne de Savary, plus il fait crier hautement, au point que cela est devenu effrayant pendant un certain moment. »

Malgré tout cependant, l’impératrice Élisabeth estimait que, puisque la chose était faite, il fallait la soutenir et consolider ainsi une paix nécessaire. Aussi blâmait-elle avec vivacité les agitations des mécontens et les flagorneries dont ils entouraient l’Impératrice mère qui ne craignait pas de donner le mauvais exemple en critiquant la conduite de son fils :

« Elle a réussi à ressembler à un chef de fronde ; tous les mécontens qui sont en grand nombre se rallient autour d’elle, l’élèvent aux nues et jamais sa Cour n’a été aussi grande. Je ne puis vous rendre à quel point cela m’indigne ! Est-ce dans un moment comme celui-ci où elle n’ignore pas à quel point le public est aigri contre l’Empereur, est-ce dans ce moment à elle à attirer, à distinguer et flatter ceux qui crient le plus fort ? Je ne sais, mais je ne puis trouver cette conduite louable surtout de la part d’une mère… »

En lisant ces réflexions, on regrette que l’empereur Alexandre ait alors méconnu la noble compagne associée à sa vie et lui, ait refusé sa confiance. Que de bons conseils, quel réconfort et quel appui il eût trouvés auprès d’elle ! Mais il était toujours sous le charme de la favorite et sous l’influence de la grande-duchesse Catherine. Le bruit courait alors d’un mariage entre