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UNE VIE D’IMPÉRATRICE.

Maistre lui-même, qui réside à Saint-Pétersbourg comme ministre du roi de Sardaigne, s’associera au sentiment des courtisans de l’Empereur et cherchera presque des excuses aux torts de celui-ci.

« Ce qui m’attriste infiniment, confie-t-il au roi Victor-Emmanuel en 1811, c’est de voir que l’éloignement entre les deux augustes époux se perfectionne au point que je ne vois pas trop d’espérance pour un rapprochement si désirable. En rendant toute la justice possible à la vertu, aux grâces, à l’instruction, à la bonté, enfin, sire, à toutes les bonnes qualités de l’excellente Impératrice, il me paraît cependant imposable de nier qu’elle n’ait mis dans sa conduite une certaine inflexibilité qui lui a nui infiniment. Sans doute que ce sentiment a été purifié plus ou moins. Mais comment ? Mais quand ? Mais jusqu’à quel point ? Personne, personne ne le sait, personne ne peut juger ces torts entre époux. Eux-mêmes ne seraient pas en état de dire de quel côté se trouve le premier tort. En attendant, la maîtresse est là avec sa bonté, sa beauté, son adresse, ses grâces, la puissance de l’habitude, et celle d’un lien très coupable sans doute, très malheureux, mais très naturel et qui ne se trouve pas d’un autre côté. Puisque le mal est fait, et sans remède, observons que cette inclination ne coûte pas un rouble à l’Etat, qu’elle n’a pas la moindre influence politique au point que le soupçon même devient muet et que le mari est pour le moins aussi content que la femme. Je ne l’aurai jamais assez répété à Votre Majesté : c’est mal, c’est très mal, c’est déplorable ; mais cependant, lorsque Louis XIV arrachait de force la femme d’un grand seigneur, officier général, c’était plus mal encore. C’est tout dire : c’est mieux que très mal ! »

L’éloignement entre les époux que commentait Joseph de Maistre ne s’était pas perfectionné, comme il disait, sans qu’ils se fussent parfois rapprochés. En 1806, nous trouvons l’Impératrice tout entière au bonheur que lui apportait la naissance inespérée d’une fille et ensuite à la douleur de la voir mourir. Cette enfant semble avoir été le gage d’un rapprochement survenu entre les époux au mois de septembre de l’année précédente.

« Je suis encore toute bouleversée du départ de l’Empereur, dont il n’y a pas deux heures, écrivait à cette date Élisabeth. J’ai besoin de sortir de cet état violent et il n’y a pas de meilleur remède que de vous écrire, chère et bonne maman ; mais, comme je ne saurais avoir un style coulant dans ce moment-ci, pardon-