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tage, quoique j’aurais à vous rendre compte de rudes momens que j’ai passés cet été. »

En lisant dans les lettres de sa fille les péripéties de ce drame de Cour, la margrave Amélie de Bade ne pouvait ne pas gémir et ne pas s’irriter de la conduite de son gendre. Au début, elle n’y voulait pas croire. Mais bientôt elle dut se rendre à l’évidence. Elle résolut alors de raisonner son gendre : « Je ne perds pas l’idée de lui écrire sur ce sujet, disait-elle à sa fille, car je le répète, il n’y a que moi qui puisse lui faire des représentations : j’en ai le droit par la confiance qu’il m’a marquée autrefois. » Les représentations n’amenèrent aucun changement. Au mois de janvier 1806, la margrave ayant rencontré Napoléon à Carlsruhe, fut aussi humiliée qu’affligée en l’entendant lui dire :

— Votre gendre est entouré de Polonais : son ministre et sa maîtresse sont de cette nation et la dernière est une méchante femme.

À ce moment, la liaison était publique, les journaux en parlaient. L’un d’eux racontait que quelques efforts qu’eussent faits les deux impératrices lorsque Alexandre était rentré à Saint-Pétersbourg, l’une pour ressaisir son influence politique sur son fils, l’autre pour reconquérir le cœur de son époux, Mme  Narychkine, plus heureuse que ses deux rivales, avait seule réussi à reprendre son pouvoir. L’Empereur, le jour même de son arrivée, s’était rendu chez elle. Maintenant, elle affichait son crédit et en obtenait tous les jours des preuves plus marquantes, ce qui contribuait à diminuer la considération d’Alexandre, l’amour des Russes et leur culte pour leur souverain. La margrave aurait alors voulu qu’Élisabeth protestât et exigeât le renvoi de la favorite. Mais ses conseils s’étaient brisés contre la ferme volonté de la jeune femme de rester passive et de subir sans se plaindre la douloureuse situation qui lui était faite.

Dès ce moment et jusqu’à l’heure où ce scandale prendra fin, à la cour de Russie, tout ce qui brigue les honneurs sera aux pieds de la favorite et, pour justifier l’Empereur des soins qu’il lui donne, rejettera sur le caractère de l’Impératrice, sur sa froideur, sur l’isolement auquel elle se condamne et dont elle ne se départ que pour se montrer dans les solennités et les cérémonies où sa présence est indispensable, la responsabilité de la trahison dont elle est la victime. Pour elle il n’y a que sévérités, toute l’indulgence est pour la maîtresse. L’austère Joseph de