Page:Revue des Deux Mondes - 1910 - tome 56.djvu/402

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
396
REVUE DES DEUX MONDES.

soler celle de sa mère, de qui malheureusement elle est séparée.

« Oh ! ma bonne maman, que puis-je vous dire ! Je ne puis que sentir, que pleurer avec vous, la perle affreuse, irréparable que nous avons faite. Maman bien-aimée, conservez-vous pour vos enfans : vous êtes leur unique soutien. Que ne suis-je avec vous, chère maman, dans ce moment cruel ! Songez à vous ! Oh ! mon Dieu, pourquoi ne puis-je pas voler vers vous ? Venez ici, je vous le demande à genoux ; c’est le seul adoucissement à nos maux. Chère maman, ne nous refusez pas… Je vous baise les mains de toute la tendresse de mon âme : depuis si longtemps j’étais habituée à y ajouter et à papa ! Si cela m’est enlevé, je suis sûre au moins qu’il lit dans mon cœur combien son souvenir y est profondément et à jamais empreint. »

La mère étant empêchée d’exaucer la prière de la fille, ce fut une aggravation au chagrin de la jeune impératrice, que contribua cependant à apaiser la présence à ses côtés de sa sœur la princesse Amélie, qui désormais allait vivre auprès d’elle.

Bien qu’Élisabeth ne pût prévoir à cette heure tous les chagrins que lui préparait la vie, on eût dit cependant qu’elle en avait le pressentiment et que, par avance, elle se résignait à les subir. Cela résulte de la correspondance qui est sous nos yeux aussi bien que des témoignages de quelques contemporains qui ont parlé d’elle, — telle la comtesse Golovine dont les Mémoires annotés et commentés par M. Waliszewski viennent de paraître. Mais il n’est pas moins douteux qu’elle fut conduite à cette résignation par ses sentimens religieux et par son impuissance, promptement constatée, à renverser les obstacles qui se dressaient entre elle et le bonheur, tel qu’elle l’avait rêvé.

Ces obstacles sont de plusieurs sortes. C’est d’abord le grand rôle que continuait à tenir à la Cour l’Impératrice mère, et l’ascendant qu’elle conservait sur son fils. Quoique pourvue de qualités de premier ordre et de mérites incontestables, la veuve de Paul Ier était à la fois ambitieuse et agitée. Ses ambitions avaient été déçues à la mort de son mari. Il est certain qu’alors, et pendant quelques heures, elle s’était flattée de lui succéder et de régner. Contrainte d’y renoncer, elle n’abdiqua pas sou autorité de mère. À ce titre et sous ce prétexte, elle ne cessait de se mêler de tout et même de contrôler la conduite du souverain, tantôt pour la louer, tantôt pour la blâmer. En ce qui touche les affaires de l’État, cette tentative d’influence resta le plus souvent