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Peut-être convient-il ici de préciser avec un très simple exemple. Quand Marcella est rappelée chez ses parens, devenus les propriétaires de Mellor Park, la jeune fille qui s’était affiliée à une petite société « venturiste, » — c’est-à-dire à une secte du socialisme, — « … sent se réveiller en elle des instincts et des goûts tout différens de ceux de ses camarades, mais naturels au tempérament qu’elle tenait de sa famille. »

Relisons ce fragment de dialogue entre elle et un des jeunes membres de la société, Antony Craven, qu’une infirmité a aigri et tourné au fanatisme :


— Vous voilà bien heureux d’en avoir fini avec la bohème ! lui dit-il un jour avec ironie, la trouvant entourée des photographies de Mellor. Comme il agit rapidement, le poison de la propriété ! Quelle fin mesquine il met aux choses ! Il y a huit jours, vous étiez toute dévouée aux nobles causes. Demain nous serons à vos yeux de pauvres fanatiques, en attendant le moment où vous rougirez de nous avoir connus.

— Je suis donc une hypocrite à vos yeux ? En quoi, je vous prie, mon goût pour les belles choses et mon respect du passé peuvent-ils porter atteinte à mes convictions ? Croyez-vous qu’il n’y ait pas de pauvres à Mellor, et qu’on n’y puisse pas travailler comme ailleurs ? Voilà comment échouent toutes les réformes, tuées par la défiance mutuelle de ceux qui les ont entreprises !

Il la regarda, un sourire froid au fond des yeux, et Marcella se tut, indignée.


Voilà, en présence, les deux esprits. C’est celui de Marcella que nous retrouvons partout dans les romans de Mme Humphry Ward, et que, faute d’un meilleur mot, j’ai appelé « positif » et « constructeur. » C’est l’esprit d’Aldous Haeburn, de Jacob Delafield, de William Ashe : c’est l’esprit anglo-saxon. L’autre apparaît parfois, comme chez Antony Craven, qui est un infirme, remorquez-le, ou chez des Anglais alors qui ne sont pas Anglais. Voici, par exemple, un Celte, Richard Watson :


Les yeux gardaient une flamme vive et passionnée, des yeux de Celte révélant tous les dons celtiques, et aussi tous les défauts de cette race, défauts si définitivement et largement exprimés par le mot d’un grand historien : « Les Celtes ont ébranlé tous les États et n’en ont fondé aucun. » Le Celte, lui non plus, n’avait rien fondé, rien achevé ; ce n’était pas une âme heureuse, harmonieuse, mais un homme que la vie et la nature, sous leurs aspects les plus subtils et les plus tristes, avaient fait vibrer, par qui avaient passé les pensées et les ambitions les plus nobles, comme le son passe par les cordes, leur arrachant quelques belles notes tragiques, quelques accens mémorables.