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DIMANCHES ANGLAIS CONTEMPORAINS.

Ainsi Catherine lui est devenue étrangère par peur de ce que l’amour pourrait, malgré elle, obtenir d’elle. Le drame domestique est venu aggraver et compliquer le drame de conscience et tous les deux ne font qu’un : ils sont organiquement liés et ne compromettent pas l’unité de l’action. Il est bon que Robert ait à lutter contre un sentiment tout humain pour se détacher de son ancienne foi. Le déchirement est plus pathétique quand l’homme souffre avec sa sensibilité tout entière. Chez un Scherer ou un Renan, la crise a été plus exclusivement intellectuelle, une crise de conscience pure. Il convenait, pour la beauté humaine du roman, qu’aucune souffrance ne fût épargnée à l’âme généreuse aventurée dans l’épreuve. Et pourtant, Robert ne s’était jamais senti plus sûr de l’amour de Dieu ni plus certain de l’action divine dans le monde et dans l’homme. Il a cette foi qui, malgré les problèmes, au-delà des énigmes, « trouve suffisamment de quoi agir, espérer et croire. » Il aspire au bonheur de poser une pierre dans les fondations encore invisibles du Temple nouveau où habitera la foi du siècle. À travers des projets essayés et abandonnés, il cherche les meilleurs moyens d’atteindre son but. Il collabore à des œuvres sociales avec un pasteur libéral ; il se range à l’unitarianisme, cette secte aux opinions très avancées et très vagues, à l’organisation très lâche, aux contingens assez flottans, qui est campée sur les confins du christianisme et du rationalisme. Enfin il trouve sa voie dans une sorte d’apostolat laïque dont la noblesse toute chrétienne révèle une volonté si sereine et si pure qu’elle conquiert la confiance et l’amour, désarme jusqu’aux dernières résistances de Catherine, et assure la victoire à l’âme qui a lutté avec toute sa foi, toute sa bonne foi.

Victoire morale, sans plus. Robert tombe malade, et son œuvre, comme un feu, le dévore. Était-il bien nécessaire d’imaginer un sauvetage en Normandie et de le faire mourir ? L’auteur a sans doute voulu signifier par-là que de tels hommes sont voués à tomber, martyrs de leurs propres convictions, consumés par leur zèle. Mais leur œuvre est destinée à vivre. Mme  Ward semble revendiquer l’œuvre et la pensée d’Elsmere : ce n’est pas une simple étude qu’elle a voulu mettre sous nos yeux : c’est un idéal.


L’œuvre d’Elsmere existe encore et elle grandit de jour en jour. Plusieurs pensaient que, créée par lui, elle s’éteindrait avec lui. Non ! Le combat