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sans habileté. Mais ceux-ci ne constituaient, pour ainsi parler, que les travaux avancés de la forteresse. Celle-ci était gardée non pas par le raisonnement, mais par le sentiment, par l’amour, et par ce mysticisme dont aucun être jeune, s’il est normalement constitué, ne devrait être dépourvu.


Au sortir de l’Université, Robert, dans son zèle apostolique, préférerait à la paisible cure de Murewell, qu’un parent âgé tient pour lui en réserve, la rude mission d’évangéliser un de ces centres industriels où, suivant la parole des Écritures, il y a toujours trop peu d’ouvriers pour la moisson. Mais sa santé, assez gravement altérée à la suite d’une longue maladie, eut raison de ses scrupules, et il se résigna à devenir curé de campagne.

Ce n’est pas ici le lieu de conter comment il rencontra la fine, pure et austère Catherine Leyburn, s’en éprit et la décida à l’épouser. Confians l’un dans l’autre, inséparablement unis dans toutes leurs pensées comme dans toutes leurs tendresses, ils viennent s’installer à la cure de Murewell, où ils travaillent ensemble, dans la mesure de leurs forces et de leurs moyens, au bien commun. Quelques mois se passent, et la crise va commencer.

Robert, à ses heures de loisir, travaille dans la bibliothèque du château. Le Squire aime l’étude ; il vit seul, au milieu des livres, a donné en érudit et en critique à des travaux d’histoire sur la fin de la société païenne et les origines du christianisme. Aucune croyance religieuse n’embarrasse son esprit dégagé, alerte, chargé du seul bagage de la science. Robert respire une atmosphère nouvelle.


Tous les matins il passait quelques heures avec les livres rares et les manuscrits précieux, enchanté des perspectives inattendues qui s’ouvraient devant les yeux de son esprit. Le monde de la science se découvrait à lui, ce monde que ses études de théologie à Oxford n’avaient pas suffi à lui révéler. Son intelligence peu à peu s’aiguisait, elle devenait plus exigeante ; il faisait connaissance avec les méthodes de la critique moderne, sans prévoir qu’un jour viendrait où cet instrument qu’il fourbissait ainsi dans la joie, avec une sorte d’ivresse, se retournerait contre lui et tuerait son bonheur.


Le travail n’était pour lui qu’un exercice de son intelligence et une distraction, quelque chose comme un jeu plus noble, sans rapport avec sa foi. Il ne l’avait pas entrepris pour la