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LE ROMAN FRANÇAIS.

d’aimer ou de n’aimer pas, de haïr ou de ne pas haïr. Mais la passion étant en nous sans être nous, elle est comme un étranger qui nous impose sa présence, et il faut que nous la considérions toujours comme un étranger et que nous nous gardions de nous livrer à elle et de lui abandonner le gouvernement de notre maison. En un mot, nos passions ne dépendent pas de nous, mais nos actions dépendent de nous, car elles dépendent de notre volonté et de notre pensée, et ainsi, s’il n’est pas en notre pouvoir de calmer ou d’étouffer à notre gré les mouvemens des esprits en nous, il nous appartient cependant de ne pas les prendre pour arbitres de nos actions. En d’autres termes, il dépend de nous de consentir ou de ne pas consentir aux effets de nos passions et aux démarches où elles s’efforcent de nous entraîner. Voici ce que dit là-dessus un disciple de Descartes, le Père Malebranche : « La vue du bien est naturellement suivie du mouvement d’amour, du sentiment d’amour, de l’ébranlement du cerveau et du mouvement des esprits, d’une nouvelle émotion de l’âme qui augmente le premier mouvement d’amour, d’un nouveau sentiment de l’âme qui augmente le premier mouvement d’amour, et enfin du sentiment de douceur qui récompense lame de ce que le corps est dans l’état où il doit être. Toutes ces choses se passent dans l’âme et dans le corps naturellement et machinalement, je veux dire sans qu’elle y ait part, et il n’y a que notre seul consentement qui soit véritablement de nous. C’est aussi ce consentement qu’il faut régler, qu’il faut conserver libre, malgré tous les efforts des passions. »

Ainsi notre consentement nous appartient. Et comme le dit Descartes, tant que dure la première forte émotion du cœur et des petits esprits, les passions demeurent présentes à notre pensée comme les objets sensibles pendant qu’ils agissent sur les organes de nos sens ; le plus que puisse faire alors la volonté, pendant que cette émotion est en sa vigueur, c’est de ne pas consentir à ses effets. Mais si l’abstention est la seule faculté qui reste à l’âme dans la première effervescence des sentimens qui l’agitent, et si la volonté est impuissante à supprimer directement et immédiatement la passion, à la longue et par l’effet tout-puissant des habitudes, l’âme peut parvenir à faire sentir son empire à ses passions. Une fois la première émotion calmée, l’âme doit user d’industrie pour se délivrer de l’ennemi ; et cette